Pousse et pédale

À travers les montagnes kirghizes, mon raccourci ressemble plus à un mur d'escalade qu'à une route. Qu'à cela ne tienne, il est trop tard pour revenir en arrière.

Pendant trois jours, je pousserai mon vélo à travers la boue, la neige, des rivières et des cailloux plus gros que ma tête. Je vous raconterai cette ascension dans La Presse dans quelques semaines. Mais pour vous donnez une idée de la montée, j'ai calculé que, pour un bout au moins, je devais grimper 760 m en 2 km. Ça donne une montée de 38%... en poussant un vélo de 115 livres dans de la roche molle.

Beau raccourci, Jonathan.

Camping presque au sommet du col.

Camping presque au sommet du col.

La descente

Après ces journées à pousser de toute mes forces dans cet impossible sentier, j'arrive finalement au sommet. Le vent y est cependant intolérablement froid et je n'y reste donc pas longtemps. Faut dire que j'ai aussi hâte de profiter de ma descente bien méritée.

Comme je me trompais !

On constate que mes sacoches ont aussi touché quelques fois le sol !

On constate que mes sacoches ont aussi touché quelques fois le sol !

Je constate rapidement que puisque je me trouve maintenant sur le versant nord, je dois me frayer un chemin dans parfois près de deux pieds de neige. Et comme le chemin est inégal et rocailleux sous la neige, je me plante au moins cinq fois avant de me décider à marcher à nouveau...

Puis, la neige se transforme bientôt en coulisses de boue... dans lesquelles je glisserai aussi quelques fois !

Le chemin est tellement peu fréquenté que je me trompe à quelques reprises en prenant le mauvais sentier. Je stresse un peu car je rationne maintenant ma nourriture depuis la veille et ne peux perdre une autre journée à m'amuser dans la boue!

En vérité, ces quelques journées ont été physiquement les plus difficiles de mon voyage jusqu'à présent. Après la montée de ce mur, puis mes débarques dans la neige et la boue, je dois ensuite traverser une dizaine de rivières à pied. En fait, c'est la même rivière, mais les ingénieurs ont cru bon de faire aller la route d'un côté et de l'autre de la rivière. Sans ponts. Dix fois de suite.

Il ne me reste qu'une seule paire de bas et mes souliers de vélo qui sont relativement secs. À chaque traversée, je traverse donc nu-pieds dans l'eau glacée, le torrent parfois plus haut que mes sacoches, puis je remets mes bas et mes souliers... pour ensuite recommencer l'opération une centaine de mètres plus loin !

Au total, je descendrai de 2 000 m dans cette descente. Jusqu'à finalement atteindre, épuisé, un chemin relativement bien qui me ramènera à la route principale, que je me promets de ne plus quitter. Je ferai ce dernier bout en sprintant pendant près d'une vingtaine de kilomètres, puisqu'il semble que chacune des maisons sur cette route possède au moins trois molosses qui veulent ma peau !

Je pousse un soupir de satisfaction lorsque mes pneus reprennent enfin contact avec le bitume. Cette traversée en solitaire aura duré quatre journées entières.

Les autres cols

Je vous ai déjà parlé que plusieurs chaînes de montagnes traversent le Kirghizistan d'ouest en est. C'est ce que j'ai en fait réalisé sur le terrain, parce qu'à ce moment, après mon super raccourci, je n'ai pas conscience qu'il me reste encore deux bons cols à traverser !

Contrairement au Tadjikistan, où le plateau se trouvait à plus de 4 000 m et où les cols n'étaient que quelques centaines de mètres plus haut, l'altitude kirghize change souvent, et alterne plutôt entre 1 000 et plus de 3 000 m d'altitude. Mais après les routes des dernières nombreuses semaines, je n'ai qu'à prendre mon temps pour ces longues ascensions, et les kilomètres se font bien !

J'aime constater lentement le changement de végétation à mesure que l'altitude augmente. La fin des arbres, puis de l'herbe, le terrain devenant tout à fait rocailleux, jusqu'à devenir couvert de blanc au sommet.

La belle saison terminée, les yourtes sont démontées et rangées pour l'hiver.

La belle saison terminée, les yourtes sont démontées et rangées pour l'hiver.

Entre deux cols, je vois plusieurs terrains où l'on vient d'enlever les yourtes pour l'hiver. Beaucoup de Kirghizes viennent dans les montagnes avec leurs troupeaux de chevaux l'été, et repartent plus bas à l'approche de la saison froide.

À cet immense camping asiatique, on trouve des entrées de cour, des bécosses, beaucoup de ronds de pierres au sol pour la yourte, ainsi que des charpentes sur lesquelles les toiles estivales sont installées.

Bien que la plaine ne soit pas encore couverte de neige, les nuits en tente deviennent de plus en plus froide. Je dors toujours avec tous mes manteaux et chandails. Une nuit, sur un terrain abandonné de yourte, mes bouteilles d'eau sont déjà complètement gelées à 22h. Il est temps que je gagne des contrées plus clémentes.

Bichkek

Après un dernier long col, je descends d'interminables et fantastiques serpentins. Puis, sur le dernier flanc de montagne, j'aperçois un horizon sans fin. Par-delà la frontière, au nord, ce sont les immenses étendus désertiques du Kazakhstan. Et cette fois, pas besoin de les traverser !

J'entre bientôt à Bichkek, la capitale et plus grande ville du pays. Après près de 10 000 km parcourus depuis l'Angleterre, c'est la fin de ce que j'ai appelé la partie A de mon périple. Le Kirghizistan était un des quelques pays que j'avais très hâte de traverser, et ses paysages et habitants ont surpassé mes attentes.

J'avais donc prévu ma route jusqu'ici. À mon départ, cette destination me paraissait si loin et inaccessible que je me suis dit que j'aurais amplement le temps de figurer la suite du voyage d'ici là... si je m'y rendais.

Et bien voilà, j'y suis, et j'ai la suite de cette aventure à planifier !