La difficile vie des femmes vietnamiennes

Mon long séjour au sein d'une famille vietnamienne m'a permis de découvrir tout un pan de la culture du pays, mais aussi de réaliser à quel point la vie y est difficile pour la plus belle moitié du genre humain.

Sur la route, les travaux de construction les plus physiques sont bien souvent accomplis par les femmes. Celles-ci transportent la pierre à la main dans des paniers d'osier pour la répandre sur la route. Les femmes sont aussi partout dans les restaurants, les hôtels, les magasins, pendant des heures interminables, et sans journées de congé.

Les hommes aussi sont souvent dans les restaurants, mais généralement assis entre eux à boire la bière locale et à pointer ou crier à leur épouse ou leur sœur la présence d'un nouveau client.

Le double standard

J'ai aussi eu la tristesse de constater que les femmes sont encore loin d'être traitées à l'égal des hommes au Vietnam. Ceux-ci peuvent avoir une maîtresse, ou fréquenter des prostituées au su de tous, ils n'en seront pas moins respectés. Mais la femme doit toujours faire attention à ne pas accorder trop d'attention à un homme.

C'est particulièrement vrai pour les jeunes filles. Si celles-ci décident de ne pas marier leur premier copain, elles sont alors cataloguées par tous, hommes comme femmes, comme « usagée ». Si une jeune femme n'est pas mariée passée la jeune vingtaine, on se demandera alors quel est le problème avec elle. Cette date limite pour le mariage existe aussi pour les hommes, bien qu'elle soit beaucoup plus extensible.

Cette situation, je l'ai moi-même vécue à quelques reprises.

- Es-tu marié ?
- Non.
- Je ne comprends pas pourquoi, il ne semble pourtant pas y avoir de problème avec toi ?!?

La triste conclusion de cette façon de penser, combinée avec l'importance primordial de l'institution du mariage au pays, est que beaucoup de filles décident de se marier très jeunes pour ne pas perdre l'occasion d'avoir un mari et une famille. Vous comprendrez que les mariages en sont trop souvent des malheureux. Imaginez si nous étions tous plus ou moins forcés de passer notre vie avec notre premier flirt du secondaire...

Les mariages deviennent souvent des façades, et ses ambitions déçues sont passées aux (nombreux) enfants, qui suivront étrangement bien souvent la même voie pour respecter la tradition.

La maltraitance physique

Comme si ce n'était pas assez, de la violence physique envers les femmes peut aussi être aperçue à l'occasion directement dans la rue. Allison et Gabrielle sont deux jeunes Canadiennes qui demeuraient au même hôtel que moi. Un soir, Gabrielle est témoin d'un mari maltraitant son épouse, au milieu d'une foule qui n'aurait pu être plus impassible devant la situation. Gabrielle leur demande d'appeler la police, rien n'y fait.

Cette violence gratuite nous perturbe. On se met à en parler avec plusieurs Vietnamiens. Certains d'entre eux tentent de nous rassurer sur la fréquence...

- Ce n'est pas tout le monde qui est comme ça, Jonathan ! Peut-être juste 30 à 50% des couples !
- ...

Il est impossible pour un étranger et touriste que je suis d'arriver dans un pays et de tenter de changer la situation. Mais je pose des questions pour mieux comprendre. Ceci suscite la réflexion chez Nhan, une jeune mère de famille qui résume ce qui devrait changer pour améliorer cette violence. 

  1. Les femmes ne sont pas indépendantes de leurs maris, financièrement comme socialement. Elles ont peur de parler et de se retrouver seules.
  2. Elles ont aussi souvent moins d'éducation.
  3. Surtout, on leur apprend dès l'enfance à être la « femme parfaite », devant toujours penser à la famille en premier. Parler contre son mari amènerait de la honte sur les deux familles.
  4. Finalement, l'ignorance et l'indifférence de la société. « S'ils ne sont pas directement concernés, croit Nhan, les gens ne parleront pas car ça n'est pas de leurs affaires. Ce qu'un couple ou une famille fait ne concerne qu'eux. »

L'argent facile

J'ai aussi l'occasion de devenir professeur d'anglais pour quelques cours privés avec différents étudiants. Lors d'un exercice avec Vinh, la propriétaire de l'hôtel, sur les expressions contenant le mot argent, nous tombons sur l'expression « easy money », ou argent facile. Je tente d'expliquer à Vinh ce que ça veut dire.

Imagine que tu as un travail qui n'est pas très compliqué mais qui paie bien, tu pourrais dire que c'est de l'argent facile.

Elle me regarde les yeux ronds.

Je ne comprends pas, c'est tellement difficile de gagner de l'argent, comment ça peut être une expression ?

Le pire est qu'elle a raison. En plus d'avoir l'hôtel, cette femme d'à peine vingt-sept ans a une entreprise d'aide aux étudiants voulant étudier à l'international, et a eu une boutique de vêtements. Elle travaille sans arrêt, occupant même ses quelques minutes de repos à améliorer activement son anglais pour mieux servir ses clients.

Me vient en tête le salaire d'une autre femme vietnamienne avec qui j'ai eu de belles conversations.

Mon travail à temps plein de réceptionniste dans un hôtel touristique me rapporte l'équivalent de 240$ (canadiens) par mois.

L'argent facile n'est pas un concept vietnamien.

Entraide familiale

Tout n'est heureusement pas que triste. J'ai aussi la chance d'en apprendre beaucoup plus sur la grande entraide des Vietnamiens entre eux. Et ici, la famille est vue au sens très large.

Lorsque des jeunes ont l'opportunité de poursuivre leurs études à l'étranger, le plus souvent aux États-Unis ou en Australie, ils réussissent à survivre au coût de la vie plus élevé en demeurant chez de la famille éloignée. S'ils arrivent à demeurer au pays d'accueil, ils accueilleront à leur tour des petites-cousines, arrière-neveux et autres proches durant le reste de leur vie. Et ils ne cesseront d'envoyer de l'argent pour aider au reste de la famille, ou pour favoriser la venue du prochain vers une vie plus facile.

Ces dépendances sont encore plus marquées au sein du noyau familial. Ainsi, dans la famille de Trach, propriétaire de l'hôtel où je m'installe, le frère aîné a quitté l'école pour payer les études du second. Celui-ci a ensuite payé pour la troisième après avoir commencé à travailler. Et ainsi de suite jusqu'à Trach, le plus jeune de la fratrie de six. En ouvrant l'hôtel, il a alors embauché plusieurs de ses frères et belles-sœurs. Et certains des membres de la famille donnent aujourd'hui de l'argent au fils du frère aîné, pour compenser son sacrifice d'avoir débuté ce cercle vertueux d'études.

Vous suivez encore ? Je résume : tu peux toujours compter sur un membre de ta famille au Vietnam.

Mon entraide

Je vous ai raconté avoir été accueilli au Times Hotel de Hué comme un membre à part entière de la famille Hoang. Je prenais mes repas gratuitement avec eux et c'est ainsi que j'ai pu en apprendre tellement sur leurs traditions et leurs histoires. En échange, j'ai tenté de leur montrer ma façon de voir les choses. Longtemps, on a refusé que je les aide avec la vaisselle ou le ménage.

- Pourquoi ?, que je leur demande. Parce que je suis un client ?
- Non, car tu es un homme, ce n'est pas ton rôle.

Rôle ou pas, mon insistance a porté fruit.

Avec Gabrielle et Allison, et les étudiants et enseignantes d'anglais.

Avec Gabrielle et Allison, et les étudiants et enseignantes d'anglais.

Mais j'ai aussi eu la chance d'être examinateur d’anglais pour des étudiants souhaitant étudier à l'étranger.

J'ai senti là une ouverture au changement dans ce groupe. Ces jeunes femmes sont plus conscientes de leur valeur et de leur potentiel. Mais elles sont aussi les plus éduquées et ouvertes à l’étranger de leur génération. Pour la très grande majorité de la population, le chemin vers l'égalité semble encore bien long.

Vinh, au centre, avec des membres de sa belle-famille.

Vinh, au centre, avec des membres de sa belle-famille.


En savoir plus

J'ai eu la chance de discuter de cette situation de vive voix avec l'animateur Alain Gravel lors de son émission matinale à Radio-Canada Première. Vous pouvez écouter l'entrevue ici.