Je vais te tirer là, là, et là

Il fallait bien que je trouve l'exception à la règle du bon monde au moins une fois.

Och à Bichkek, un peu plus de 580 km à travers les montagnes.

Och à Bichkek, un peu plus de 580 km à travers les montagnes.

La route est longue et montagneuse entre les villes d’Och et de Bichkek au Kirghizistan. Voulant me sauver plus d’une centaine de kilomètres, je décide de prendre un sentier qui aborde de front une des nombreuses et importantes chaines de montagnes qui traversent le pays.

N'ayant rien appris de ma leçon dans les montagnes bosniennes, et la neige des cimes m'attirant comme un aimant au loin, je me dirige donc vers ces montagnes.

L'asphalte est disparu depuis un bon moment lorsqu'un homme m'arrête dans le minuscule et dernier village sur cette route. Je m'arrête, pensant qu'il veut simplement me poser quelques questions, comme les nombreuses personnes avec qui je parle à chaque jour.

Celui-là est par contre beaucoup plus insistant.

Je refuse tout d'abord son invitation à un café chez lui car j'ai beaucoup de chemin à parcourir. Il me prend alors rudement par l'épaule et agrippe fortement mon vélo pour le tirer vers sa maison. Je me défends physiquement et verbalement, et il monte la violence d’un cran en faisant mine de m'en coller une au visage.

Je vois alors dans son regard qu'il ne semble pas avoir toute sa tête. Je renonce alors à le confronter plus et accepte de le suivre dans sa maison, tout en réussissant malgré son insistance à laisser mon vélo à la grille d'entrée. Au cas.

Après qu'il m'ait intimé de m'asseoir, il prépare mon café instantané, et m'amène ensuite du sucre. J'en veux pas, que je lui dis. Tu vas en prendre, qu'il me répond.

S'assoyant à mes côtés sur son divan, il me montre ensuite une cuillère avec une pierre rouge dessus. Réelle ou fausse, je n'en sais rien. Toujours est-il qu'il commence à me dire que cette cuillère vaut très cher et que si je m'avise de la lui voler, il va me tirer dessus. Il se met alors à pointer les divers endroits sur ma poitrine et mon ventre où il prévoit que les balles pénétreront.

Rassurant.

Je commence à reluquer fortement la porte et il s’en aperçoit. Il me dit de rester assis.

Le café toujours en main et à peine entamé, il veut ensuite me forcer à boire de la vodka, que je refuse. Il en verse quand même et j'utilise ce moment pour prendre mes jambes à mon cou jusqu'à mon vélo, et tenter tant bien que mal de sprinter avec ma bête de 115 livres chargée d'eau et de nourriture.

Je l’entends crier derrière mais je pédale trop pour même me retourner avant quelques kilomètres. Après vérification, ma poitrine est intacte de trous.

 

 

C’est souvent à cause d’histoires isolées comme celle-ci que le monde nous semble plus terrifiant qu’il ne l’est réellement.

Cependant, en sept mois de voyage à vivre sur la route, à dormir dans ma tente ou chez des inconnus, et à accepter toutes sortes d’invitations, je n’ai eu que cette seule et première mauvaise expérience où je me suis senti inconfortable. Je ne voulais pas vous la cacher et vous peindre un monde entièrement rose. Mais souligner la rareté extrême d'un tel événement est tout aussi important.

Et malgré tout, je suis plutôt parti de cette situation afin de ne pas prendre de risque inutile. J'étais seul dans un tout petit village des montagnes où je ne pouvais communiquer, et loin de tout secours possible s'il m'était arrivé quelque chose. Mais je suis surtout parti avec l’impression que cet homme a simplement dû se sentir seul et était incapable d'interagir de meilleure façon avec les autres. Encore plus avec un étranger à vélo.

Je vais continuer à ne pas prendre de risques inutiles. Mais ça ne m'empêchera pas de continuer aussi à parler aux gens et à m’ouvrir à eux.

Il reste encore beaucoup de bon monde sur ma route.

Une des nombreuses et difficiles montées sur ce sentier de montagne.

Une des nombreuses et difficiles montées sur ce sentier de montagne.