Jonathan B. Roy

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La vie étouffée

Sur la frontière entre le nord et le sud du Vietnam, on découvre une vie difficile pour ses habitants. Et une résilience hors du commun.

Les plus belles rencontres sont souvent celles imprévues. Et comme la majorité de mes arrêts sur la route sont imprévus... ben j'ai souvent de belles rencontres.

À notre passage à Dong Hoi, au centre du Vietnam, Pops et moi parlons longuement avec Yen, une jeune employée de l'hôtel. En nous parlant de ses rêves et de ses études universitaires en tourisme, elle nous confie une phrase choc pour un pays communiste.

Je veux faire assez d'argent pour ne pas être pauvre, mais je ne veux pas devenir riche. Au Vietnam, les riches perdent leur humanité.

Elle m'avait déjà indiqué la veille ne pas aimer le régime communiste, et en particulier les comités locaux qui se croient tout permis. Ça m'attriste de constater que la vie semble si difficile dans ce régime restrictif, et en particulier pour les femmes.

Les grottes de Phong Nha

C'est Yen qui me demande si j'irai visiter les grottes.

- Quelles grottes ?
- Quelles grottes ?! Juste les plus grandes du monde !

Je suis rapidement convaincu.

Découverte par hasard pour la première fois en 2005, ma préférée est celle de Thien Duong, surnommée du Paradis. Longue de 31 km, elle n'est accessible au public que depuis 2010.

Une fois passée la petite ouverture vers l'extérieur, on a l'impression d'être dans Lord of the Rings. L'éclairage blanc artificiel nous montre une galerie de 150 m de haut et on peut s'aventurer par des passerelles jusqu'à un kilomètre à l'intérieur des entrailles de la terre. De tous côtés, les stalactites et stalagmites montrent leur couleurs étonnantes et leurs formes étranges.

L'entrée de la Paradise Cave de Phong Nha.

Une destination certainement à ajouter à votre liste si vous passez par le centre du Vietnam.

L'incroyable vue à l'intérieur de l'immense Paradise Cave.

Parlons communisme

Pops roulant au centre du Vietnam.

Par le hasard des rencontres, je fais aussi la connaissance de Sandy. Qui n'est pas son nom vietnamien mais plutôt celui qu'elle a choisi pour ses études à l'étranger.

Car Sandy avait choisi de quitter son Hanoï natal pour aller étudier en génie des matériaux à Singapour, jusqu'à compléter un post doc en France. Maintenant de retour au Vietnam, elle enseigne maintenant la technologie à l'Université de Hanoï, et fait de la recherche sur les matériaux utilisés dans les panneaux solaires.

Combien croyez-vous qu'une chercheure de ce calibre soit payée en terre communiste ?

Je gagne l'équivalent de 180$ par mois. J'habite chez mes parents car je ne peux me permettre de payer seule un loyer. J'ai un doctorat en génie, et même les éboueurs font plus d'argent que moi ici.

Elle me raconte ça un peu triste, mais pas fâchée. Après tout, c'est elle qui a décidé de revenir au pays. En partie forcée par la difficulté à immigrer ailleurs pour trouver « un vrai poste », et en partie devant l'insistance de ses parents.

Sandy a une trentaine d'année. Et elle n'est pas mariée, ce qui est vu comme anormal au Vietnam, longues études ou pas.

- Tes parents te mettent-ils de la pression pour un mariage ?
- Tous les jours.

Vinh Moc

Le 17e parallèle nord est connu au Vietnam comme la ligne de démarcation entre le nord et le sud du pays durant la guerre. Étrangement, cette guerre que nous connaissons sous le nom de guerre du Vietnam est appelée ici guerre américaine... Pas hors de la plaque quand on pense que ce sont les États-Unis qui ont envahi le pays.

Sur cette ligne au centre du pays se trouvent les tunnels de Vinh Moc. Durant la guerre, les États-Unis ont forcé les habitants de ce village côtier stratégique à quitter les lieux, notamment afin de les empêcher de ravitailler l'armée du nord. N'ayant nulle part où aller, les villageois ont creusé des galeries s’enfonçant jusqu'à 30 mètres sous terre, avec des mini alcôves servant de chambres, une toilette publique, une infirmerie et quelques puits d'eau et d'air.

De 1966 à 1972, jusqu'à 600 personnes y ont vécu simultanément en secret au nez des Américains. Pour chaque repas préparé, les habitants devaient s'assurer que la fumée se dissipe afin qu'elle sorte du sol incognito. Et par crainte de se faire voir, pratiquement tout devait se faire sous la terre, incluant donner naissance. On dit que 17 enfants sont nés dans ces conditions, dans des recoins de ces passages étroits variant entre 1,5 à 1,9 m de haut...

L'intérieur du tunnel de Vinh Moc, où même moi je dois me pencher.

Pops et moi nous joignons un groupe polonais pour la visite. Et considérant ma propension à rapidement perdre les tours guidés, ce qui devait arriver arriva.

Je me mets à prendre des photos et le groupe me perd dans la noirceur de la roche, à 20 mètres sous la surface. Mon père s'en rend compte et crie pour que je retrouve sa trace mais le bruit est rapidement absorbé dans ce qui apparaît un immense tombeau.

Heureusement, j'avais pensé à apporter ma lampe frontale.

Réalisant que je suis seul, je pars à courir pour rattraper le groupe, mais je dois me tromper de chemin. Je reviens vite sur mes pas et j'en prends un ou deux autres en courant dans ce labyrinthe comme un perdu. Ce que je suis.

Je suis face à 5 ou 6 options de chemin et je n'ai pas remarqué par où nous sommes arrivés.

Je prends alors encore plus conscience de la difficulté à devoir vivre en cachette dans cet environnement humide, sans lumière, souvent dans la boue, et durant des années...

Je réussis à retrouver une autre sortie, au milieu du bois, et à revenir au point de départ vers mon paternel inquiet.

Hier comme aujourd'hui

On essaie de s'imaginer de la difficulté à vivre ici avec tous ces obstacles, hier comme aujourd'hui.

Décidément, le peuple vietnamien a toujours su s'inventer des moyens pour continuer à avancer le mieux possible. C'est ainsi que nous reprenons la route avec un respect encore plus grand pour nos hôtes.