Le radeau de la méduse

Mai 2014. Quittant Copabana, sur les berges du Titicaca, où j'avais visité l'Isla del Sol, je prends l'autobus pour ce que je croyais être un paisible parcours d'environ trois heures et demie. C'était bien mal connaître la Bolivie...

À bord de l'autobus, 42 places... et 45 personnes. Excluant le chauffeur, que l'on appellera José Luis pour les besoins de l'histoire. Ce groupe de champions se compose à parts égales de Boliviens et de Péruviens, et de voyageurs d'un peu partout.

Parmi toute cette belle faune, j'ai acheté le tout dernier billet assis. Je suis donc dans la rangée de cinq personnes, complètement à l'arrière de l'autobus.

Avant que nous puissions partir, il semble qu'il manque un certain Señor Lopez. José Luis juge que la meilleure façon de s'en assurer est de demander à chacun des 45 passagers la précise question « ¿ Señor Lopez ? ». Le 43e à répondre à la question est Chris, un grand blond, début trentaine, de Vancouver, qui manifestement n'a pas suivi ce qui se passait. Il répond donc, en se levant avec fort enthousiasme Si, si, La Paz ! ¡Vamos! ¡Vamos! Sa blonde, très impressionnée par les talents linguistiques de son fiancé, lui dit de se rasseoir. Nous partons. Il est 19h30.

Trois demi-heures plus tard, l'autobus s'arrête. José Luis nous explique que nous devons sortir de l'autobus avec nos bagages car le traversier n'est pas assez stable pour le poids d'un autobus plein. Nous retrouvant donc tous sur le pavé, la policía nous indique cependant que finalement nous devons retourner dans l'autobus. M'improvisant négociateur en chef du groupe, je reviens annoncer deux nouvelles au groupe.

1- La mauvaise : Dû à la tempête sévissant dehors, les vagues sont trop importantes pour qu'on puisse maintenant traverser. (Ceci explique la vingtaine d'autos et d'autobus arrêtés entre nous et la rivière.) Sans pouvoir être précis, il est possible que nous ayons à attendre jusqu'à 4h du matin pour traverser. Il est 21h.

2- La bonne : Une Australienne voyageant avec un ukulélé se trouve dans l'autobus et me passe son instrument. J'annonce dans l'euphorie générale une représentation impromptue de ma tournée sud-américaine.

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Le « traversier ».

Enchainant les succès pop, les hymnes nationaux et les chansons a cappella de groupe, notre ukulélé nous amène donc jusqu'à minuit, heure à laquelle l'hymne national bolivien sonne le last call du spectacle.

À peine une heure plus tard, mes quatre voisins de banquette et moi sommes réveillés par le mouvement de l'autobus. Par ma fenêtre, que de l'eau. Je suis confus.

Quelques instants plus tard, je réalise que nous sommes sur le « traversier », que je prendrai en photo de l'autre côté de la rivière. 

L'autobus avait donc embarqué via une passerelle de bois sur ce radeau, poussé par deux gars tenant des perches. Il y avait peut-être six pouces de chaque côté de l'autobus, trop peu pour qu'on s'apercoive même que nous sommes maintenant sur cette bicoque.

J'ai en tête le radeau de la méduse.

Le radeau de la méduse, célèbre tableau de Géricault.

Le radeau de la méduse, célèbre tableau de Géricault.

La tempête fait encore rage et les vagues sont font quand même de 4 à 5 pieds d'après ce que je peux juger. En regardant par la fenêtre, ma vue alterne entre l'eau et le ciel à chaque tangage du radeau et de la suspension. Je tente d'ouvrir ma fenêtre pour créer une sortie de secours. Elle ne bouge pas d'un poil malgré ma force brute. J'aperçois une fenêtre ouverte au milieu de l'autobus. Si on renverse, c'est par là que je sors. Je mets mon passeport dans mes boxers.

La traversée dure une dizaine de minutes. Dix minutes durant lesquelles on se demande notamment ce qui est arrivé avec la consigne de débarquer de l'autobus avec nos bagages. D'après moi, c'est juste moins dommageable pour le chauffeur de prendre le risque de perdre l'autobus et 90% des passagers en même temps que d'en perdre 2-3...

On arrive finalement sains et saufs de l'autre côté, et l'autobus recule du radeau sur la terre ferme. Nous sommes sauvés nous disons-nous tous alors.

Mais pas tout à fait encore!

C'est alors que le conducteur, notre charmant José Luis, commence à nous compter, mais très maladroitement et très lentement. De un, tu ne voulais pas nous compter avant qu'on traverse? De deux, coudonc, il est complètement torché lui?

Je décide que même un homme entrainé ne devrait pas conduire un autobus de nuit dans les montagnes après avoir bu une bouteille de rhum and coke pas de coke. On fait un petit sondage pour savoir si un des passagers n'aurait pas par hasard une connaissance de la conduite d'autobus. Chris, notre Vancouvérois futé, nous dit avec fierté I can drive standard ! Merci mon gars, mais je fais quand même encore plus confiance à José Luis.

Considérant que nous n'avons aucune idée où nous sommes, comment se rendre à La Paz, comment conduire un autobus, et aussi que nous sommes pas mal fatigués, José Luis reprend le contrôle du volant... accompagné de deux gars ayant pour mission de lui taper dans la face quand il s'endort.

Notre route se poursuivra, entrecoupée du conducteur qui arrête l'autobus pour uriner, de gens louches qui semblent fouiller nos bagages sous l'autobus, et d'une arrivée vers 4h du matin dans la milieu de la ville avec José Luis qui nous dit de sacrer notre camp.

Sans réservation nulle part, je termine cette nuit magique dans la pire chambre imaginable, située au-dessus d'un club, avec de la moisissures recouvrant tous les murs, un gars qui vomit sa vie dans la toilette adjacente, et Chris dans le lit voisin!

3 étoiles sur 5 sur Trip Advisor.