Munir, les montagnes et la mer

Après mon long périple turc vers l'est, je pique finalement vers le nord pour rejoindre la mer Noire. Voici mes derniers jours en Turquie.

De Sivas à Batoumi (Géorgie), en passant par les montagnes.

De Sivas à Batoumi (Géorgie), en passant par les montagnes.

Toute ma traversée de la Turquie s'est déroulée sur un échéancier assez serré. Tout comme j'avais poussé sur mes pédales pour rencontrer mon frère à Istanbul, j'ai un rendez-vous à Tbilissi avec mon ami Mathieu qui arrive du Canada pour rouler un deux semaines avec moi.

À l'approche des montagnes qui me sépare de la mer Noire, je suis déjà épuisé et ne sais toujours pas si je réussirai à arriver à temps. Mais bon, faut ce qui faut, et je commence à attaquer le mur en fin de journée, question de camper ailleurs que sur le bord de l'autoroute.

À peine ai-je commencer à monter qu'un camion s'arrête. Ses occupants m'incitent à passer par un autre chemin en raison des loups dans la montagne. Les gens sur mon parcours étant de moins en moins familier avec le vélo, j'ai parfois de la difficulté à leur faire comprendre qu'un détour de 200 km pour moi est pas mal plus complexe qu'en auto ! J'ai d'ailleurs cessé depuis un bout de dire aux gens rencontrés que je me dirige vers le Vietnam. C'est tellement loin géographiquement et de leur réalité qu'ils ne peuvent souvent pas comprendre ce que je veux dire. Je dis donc le plus souvent maintenant que je me dirige vers la prochaine grande ville. Dans ce cas-ci, il s'agit de Trabzon, sur la mer Noire.

Munir, le road trippeur

La traversée des montagnes.

La traversée des montagnes.

Je poursuis ma route le lendemain matin, heureusement sans avoir rencontré de loups. On m'avait averti que ces montagnes étaient quelque chose. Et on ne m'avait pas menti ! C'est une falaise des deux côtés de la route, avec aucun accotement... et un dénivelé de la mort. J'ai 200 km de bonheur à faire sur ça... Ou plutôt, j'aurais eu.

En effet, je suis à ces pensées lorsqu'un VUS ralentit à côté de moi pour me prendre en photo. Je m'arrête et on commence à parler. Le conducteur s'appelle Munir Bhatti et a tout une histoire. Il est d'origine pakistanaise, a vécu une bonne partie de sa vie à Dubaï, où il a bâti une compagnie d'acier, et est nouvellement Canadien. De Vancouver où il habite maintenant une partie de l'année, il a décidé il y a quelques années qu'il voulait mieux connaître son pays d'accueil et est parti sur un road trip visiter toutes les provinces et territoires. De St-John's à Whitehorse, de Yellowknife à Montréal, de Victoria à Halifax, il a sillonné le Canada au grand complet. Il me dit en riant qu'il passait par des villages où les gens n'avaient jamais vu quelqu'un d'origine indienne. Et il n'a que de bons mots pour le Canada. Incroyable mais vrai, il m'a même partagé que ses cours sur « comment être un bon citoyen canadien » lui avait appris à être un meilleur époux.

Munir.

Munir.

Et en ce moment, Munir est parti de sa maison à Dubaï avec le petit camion qu'il a pimpé pour l'occasion. Il s'est donné comme mission de traverser 32 pays européens en un peu plus de deux mois.

Il est tellement heureux de pouvoir partager sa passion canadienne et emballé par mon voyage qu'il refuse de me laisser partir. J'accepte son invitation de traverser deux cols avec lui. Quelques instants après, mon vélo est attaché sur sa roue de secours et on continue notre conversation sous le bruit de son moteur qui force à grimper le dénivelé.

Je me sens toujours mal et un peu tricheur quand, rarement, j'accepte ces invitations et que je délaisse mon vélo pour quelques heures. Mais je me dis que le but de ce voyage reste avant tout de rencontrer des gens intéressants. Avec Munir, c'est mission accomplie.

De Trabzon à la Géorgie

Trabzon.

Trabzon.

Après avoir quitté Munir, je complète la route à vélo et atteint la mer Noire à Trabzon. Ce n'est pas une très grande ville mais Trabzon possède une très riche histoire. Bâtie à flanc de montagne et fondée au 7e siècle av. J.-C., elle a fait partie de plusieurs empires et royaumes. Comme plusieurs marchands de la route de la soie, Marco Polo y serait même passé en revenant de Chine.

D'ailleurs, les options de route vers l'est commencent à se faire plus rares et on dirait que tous les cyclistes voyageurs convergent vers cette ville. À partir d'ici, j'en rencontrerai plus sur ma route. Ce n'est toujours que quelques-uns ici et là, mais c'est plus que zéro !

La route de la mer Noire.

La route de la mer Noire.

Les jours suivants ne sont pas trop excitants. Je roule sur une autoroute suivant la mer. Je mange, je me baigne, je continue. L'eau est chaude et délicieuse mais les plages consistent le plus souvent en des grosses roches desquelles je me laisse glisser jusque dans l'eau. Se laisser glisser se passe bien, mais regrimper sur les rochers glissants après la baignade s'avère plus complexe !

Autant les montagnes à l'intérieur des terres étaient difficiles, autant je suis content de mon choix de ne pas avoir longé la côte pour toute cette distance. Les villes et villages se ressemblent pas mal tous et il y a beaucoup de circulation. Les possibilités de camping sont aussi beaucoup plus limitées à cause de la densité de population, de la mer d'un côté et de la falaise de l'autre.

Finalement, 1 800 km et un mois après mon entrée en Turquie, j'aperçois la frontière géorgienne. Aucun visa n'est nécessaire, et je passe rapidement sous le regard amusé et amicaux des douaniers.

- Welcome to Georgia Mr. Roy ! Where are you going?
- Oh not far, just the next big city.