Bosnie partie 2 - Les montagnes, métaphore de la vie

Du nord de la Bosnie, je souhaite aller au sud à Sarajevo. J'utilise à ce moment l'application Cycle Maps vu que Google Maps ne m'offre plus la fonction itinéraire cycliste. Route R440, ça sonne comme une route régionale, non? Ben finalement, non.

Décision facile me dis-je en regardant mes options. J'ai la route en ligne droite sur la régionale 440, ou l'option longue via des autoroutes, ce qui me rallongerait de cent kilomètres. Je suis un joueur, go pour la ligne droite. Après les Alpes enneigées, quel est le pire qui puisse arriver?

Après avoir bifurqué sur la 440, ça roule bien. Monte, descend, monte, descend, beau petit soleil, d'autres édifices abandonnés, une école primaire qui a l'air abandonné mais ne l'est pas, et des animaux qui se promènent en liberté. Le chemin suit une petite rivière et je décide d'y faire ma toilette.

Sur la route, d'autres maisons abandonnées.

Sur la route, d'autres maisons abandonnées.

Mon école primaire n'était pas si pire que ça finalement.

Mon école primaire n'était pas si pire que ça finalement.

Puis, le bitume s'arrête et devient de la gravelle. Sûrement de la construction, me dis-je naïvement. Puis, ça se met à monter tellement que je dois marcher et pousser mon vélo de toute mes forces juste pour continuer à avancer. Toute la sueur que j'avais nettoyée est de retour en puissance dix ! Je pense aux Olympiques d'hiver à Sarajevo en 1984. L'idée ne m'était évidemment pas venue avant que pour des Olympiques d'hiver, ça prend des montagnes.

Rendu presque au sommet, ma simple présence fait peur à un troupeau de moutons qui se sauvent en courant par le même chemin que je remonte. Je n'ai pas vraiment d'autre option, je continue donc derrière le troupeau, qui continue d'avoir peur etde se sauver par le même chemin que je marche. Après quelques centaines de mètres de « poursuite » comme ça, j'entends des sifflements aigus. Le propriétaire du troupeau vient de se rendre compte de la disparition de ses bêtes et les appelle. Je vois le berger au loin qui monte directement par le champ. Les moutons ne bougent pas et continuent de me regarder. Allez-vous en !, me dis-je, votre père va être fâché contre moi ! C'est là que les chiens s'en mêlent. Je ne les avais pas vu arriver mais quand l'un d'eux se met à japper à deux pieds de moi, je lâche un superbe cri de surprise et de frayeur. Rendu là, aussi bien saluer le fermier, je pense qu'il m'a spotté.

Je continue de grimper. Je vois bientôt une bécosse près d'une maison assez moderne. Comme la maison a l'air assez neuve, je me demande alors si la bécosse est encore en utilisée. Car en même temps, la seule façon d'avoir de l'eau à cette altitude et en étant si isolé est de la prendre de la source d'eau pas loin. Me posant ces questions, je passe en avant de la bécosse qui a la porte ouverte... et une vieille madame est justement en train de l'utiliser. On se regarde mutuellement deux secondes et elle ferme rapidement sa porte. Je ne pense pas qu'ils aient souvent de la visite ici. Je n'ai pas de photo de cette anecdote.

Je campe plus haut dans la montagne. En regardant ma carte pour le lendemain, je calcule qu'il ne me reste probablement que quelques kilomètres de montée et ensuite je rêve à la sublime descente à laquelle j'aurai droit. C'était sous-estimer mon amie la régionale 440.

Journée 2

Peu après mon départ, la roche fait bientôt place à ce que j’appelle un chemin de ferme, soit de la terre battue avec des trous d'eau partout. Que dis-je de la terre battue, c'est de la boue dans laquelle mes souliers disparaissent au complet. À ce point-ci, je n'ai plus l'impression d'avancer géographiquement, j'ai l'impression de remonter le temps. Je me tourne et voit un habitant arriver en calèche... Il m'explique en 2000 mots bosniens que je ne serai pas capable de faire cette route en vélo et que je devrais revenir sur mes pas.

« Écoute mon gars, j'ai déjà fait la montée de la mort pour venir ici, je ne redescendrai pas pour ensuite aller me taper un cent kilomètres de plus », que je lui explique avec les trois mots que je connais et beaucoup d'onomatopées en pointant ma carte. Il a l'air dubitatif. Je lui demande quel est le problème exactement. Je pointe l'eau, je pointe la boue, je pointe la roche. La réponse est oui.

Je poursuis donc ma route en poussant mon vélo de cent livres dans la boue. Éventuellement, ça commence à descendre, mais la route est tellement mauvaise que c'est comme du vélo de montagne... avec un vélo sans suspension et chargé de sacoches. J'arrive alors au clou du spectacle... la rivière a tellement débordé que la route est devenue la rivière !

Oui, je suis allé placer mon trépied pour cette photo et je suis revenu faire la même pose que l'originale!

Oui, je suis allé placer mon trépied pour cette photo et je suis revenu faire la même pose que l'originale!

La plupart de cette nouvelle rivière n'est pas trop creuse et ne ne poserait pas problème si j'étais juste à pied. Mais le courant est très fort, les roches instables, et je n'ai pas envie de m'y aventurer avec mon vélo pour que tout mon électronique et mes vêtements se retrouvent à la flotte. Je constate que le meilleur moyen de passer est de mettre mes gougounes et de faire du portage avec mon vélo. Après cette rivière, le chemin s'améliore. Ça m'aura pris six heures faire douze kilomètres. Éternel optimiste, je me dis qu'au moins il ne pleut pas.

Qu'est-ce que tu penses qui est arrivé quatre minutes après? Ben oui toi, le déluge total pour le reste de la journée.

J'ai finalement eu droit à ma descente magique, qui aurait aussi pu se faire en kayak tellement il y avait de l'eau sur l'asphalte ! Et comme la température a aussi descendu beaucoup, même mes gants de vaisselle jaunes rembourrés d'autres gants ne sont pas à la hauteur et mes mains sont gelées, comme tout mon corps d'ailleurs.

Moi qui pensais me rendre à Sarajevo cette journée-là, il me reste encore 77 km. Ça sera pour le lendemain, je décide d'abandonner ma tente pour une nuit et de dormir au premier hôtel rencontré.

Je n'utilise plus l'application Cycle Maps.

 

 

Métaphore de la vie

Tout le temps que j'étais dans cette petite aventure, je prenais ça en riant. Et je me suis mis à penser que mon choix de prendre ce chemin était comme beaucoup de décisions qu'on prend dans la vie. Peut-être pas la meilleure, peut-être pas la pire, mais une fois la décision prise, il faut juste continuer et voir ce qu'il y a de l'autre côté. Certains passages nous paraissent plus difficiles mais ces épreuves nous rendent plus forts et plus débrouillards. Et ça fait de bien meilleures histoires.