La traversée de la Serbie, avec 5 minutes d'avance

Je devais rencontrer mon frère à l'aéroport de Sofia en Bulgarie le 22 mai. J'avais donc six jours pour traverser les 500 km de Serbie et d'une petite partie de la Bulgarie pour le joindre. Voici l'histoire d'une course contre la montre digne de Jules Verne.

La Serbie m'est apparu comme une version moins intense de la Bosnie-Herzégovine. Il y a des tunnels, mais ils sont moins longs et un peu plus éclairés. Il y a des chemins moins agréables, mais jamais autant que son pays voisin. Bref ça se passe quand même bien.

Je n'ai quand même pas trop le temps de m'attarder car avec ma visite de Sarajevo et mes journées de plaisir dans les montagnes bosniennes, je dois maintenant maintenir environ 80 kilomètres par jour pour arriver en même temps que mon frère à l'aéroport de Sofia.

Le bon monde

Fidèle au titre que j'ai donné à mon aventure cycliste, je prendrai quand même le temps de me faire des amis.

Dès ma première journée en Serbie, un policier me voit au loin et me fait un salut militaire, comme si j'étais son capitaine, alors que son comparse me fait une profonde révérence. Je leur réponds par ce que je considère être une moyenne des deux : un sourire et un signe de la main.

Plus loin, alors que j'analyse ma route à venir, un grand homme maigre sur son vélo s'arrête, en compagnie de sa fille. Après lui avoir expliqué mon voyage, il me dit environ 22 fois bravo, puis part rapidement vers une petite épicerie. Je m'apprête à repartir lorsqu'il revient en courant. Il a deux pommes dans les mains, et me les offrent en me souhaitant bon voyage.

L'homme charmant et volubile de Trstenik, en Serbie.

L'homme charmant et volubile de Trstenik, en Serbie.

Les jours passent et mes 80 kilomètres quotidiens s'enfilent. Vers la fin d'une journée, je m'arrête pour regarder quelques minutes un match de soccer local dans le village de Trstenik. J'écris le nom du village pour faire semblant que je sais comment le prononcer.

Bref, dans ce charmant village au trop-plein de consonnes, un vieil homme ne cesse de me regarder en souriant. Je m'approche de lui et il se met à me raconter un paquet de choses que je ne peux malheureusement comprendre. Comme j'étais abonné au club des Débrouillards dans ma jeunesse, je fais signe à une jeune fille du village de venir me traduire. Je comprends alors que l'homme a un neveu de 46 ans qui habite au Canada. Il me montre ensuite sa maison avec fierté et accepte de prendre une photo devant celle-ci.

Généralement, je constate en chemin que les personnes âgées me font aussi plus de signes de pouce et de bonjour qu'en Bosnie. J'ai l'impression que comme le niveau de vie ici est meilleur, le fait de voir un voyageur cycliste est une réalité plus atteignable, et comprenable, que dans les pays plus pauvres. Il y a donc moins d'interrogation dans leur regard en me voyant passer. J'ai hâte de comparer ceci au fil des prochains pays que je traverserai.

Les trois mousquetaires

Miško, Goran et Dragan.

Miško, Goran et Dragan.

Encore à la fin d'une journée, je m'arrête pour faire le plein d'eau dans un restaurant. Trois hommes m'invitent à leur table. Ça sonne dangereux écrit comme ça, mais fais-toi en pas, j'ai un flair aiguisé.

Je fais donc l'agréable rencontre de Misko, Goran et Dragan. Toute notre conversation se passera via l'application de Google Translate, en nous passant tour à tour le téléphone. Astuce pour vos prochains voyages : vous pouvez télécharger les langues et traduire vos phrases même en étant en mode hors ligne.

Je soupe donc et passe la soirée avec eux. J'apprends notamment que Goran est prêtre orthodoxe et que Dragan retape des vieilles Vespa qu'il vend en Europe. Deux métiers plutôt rares au Canada.

Le sprint final

Autre photo gracieuseté du trépied, sous le regard interrogateur des employés de la voirie.

Autre photo gracieuseté du trépied, sous le regard interrogateur des employés de la voirie.

Pour ma dernière journée en Serbie, je me retrouve sur une nouvelle autoroute. Elle est pratiquement complétée mais pas encore ouverte à la circulation. Pour des dizaines de kilomètres, je roule donc seul sur une route à quatre voies de large. Je m'arrête pour immortaliser ma joie, sous le regard interrogateur des employés de la voirie qui me voit assis par terre pendant dix minutes à sourire à mon trépied.

Puis, je passe en Bulgarie. Il me reste une demi-journée pour arriver à temps, et je viens en plus de perdre une heure en changeant de fuseau !

Le lendemain, je pars donc tôt et ça roule bien. Je m'arrête dans une station service utiliser le wi-fi, et valider ma route. Je ne suis qu'à quelques kilomètres de Sofia et je constate que j'arriverai probablement même à l'aéroport avec une heure d'avance. Gras dur.

Je repars et ça roule encore mieux. Voici quelques phrases que je me dis.

- Je suis chanceux, j'ai maintenant le vent dans le dos.
- C'est drôle, le restaurant a le même nom que celui que j'ai vu tantôt.
- Comment ça Sofia dans 22 km, je devrais déjà y être?

Ben c'est ça, le gros légume que je suis est revenu de 11 km sur ses pas après la station-service avant de s'en rendre compte. Je tourne encore de bord et je me retape le vent de face en sprintant jusqu'à l'aéroport. Je dis sprint, mais avec un vélo de 100 livres, tu sprintes pas vraiment, tu fais juste plus suer.

Bref, je finis par arriver à l’aéroport... cinq minutes avant mon frère! Il est là pour qu'on fasse ensemble la route jusqu'à Istanbul en Turquie. J'ai le temps d'essuyer un peu ma sueur de front, de reprendre mon souffle, et je le vois sortir de la porte des arrivées.

- Hey Jo, t'es là!
- Big, c'est sûr que je suis là.