Jonathan B. Roy

View Original

Mon carnet de notes sans censure

Tu vois, j'essaie normalement d'être positif quand j'écris. J'ai l'immense chance de vivre cette aventure d'une vie, ce rêve que j'ai préparé pour des années. Mais je ne veux pas vous mentir, des fois, c'est difficile et je me demande ce que je fais.

640 km entre Noukous et Bukhara, en passant par Khiva et Ourguentch. Principalement à travers le désert...!

Récemment, je vous ai parlé de ma traversée d'un désert au Kazakhstan, de mon entrée en Ouzbékistan par un train, et de quelques journées sur des mauvaises routes entre Noukous et Khiva.

Je vous invite cette fois à me suivre sur quelques centaines de kilomètres entre Ourguentch et Bukhara, une autre ville touristique plus à l'est du pays.

Comment j'écris

Pour écrire ces chapitres que je vous présente sur ce blogue, je commence tout d'abord par sélectionner quelques photos parmi les centaines que je prends. Je les travaille et les choisis selon leur beauté et ce qu'elles représentent. Chaque soir, et même souvent durant la journée, je prends des notes sur qui je rencontre, ce que je vois, et quelles sont mes impressions. Tout ceci peut se faire directement de ma tente sans que j'aie besoin d'avoir un accès à l'internet.

Puis, en relisant mes notes et en les liant aux photos, je tente ensuite de sortir une histoire pour chaque période de temps. Comme vous le savez maintenant, cette période peut être une journée comme une semaine, dépendant des aventures. Cette étape d'écriture est faite dans les auberges ou hôtels où la connexion le permet.

Le journal

Pour cet énième périple désertique, j'ai eu l'impression que la meilleure façon de vous faire ressentir mon impatience grandissante face à ces conditions était de vous présenter littéralement des extraits de mes notes...

Mon campement n'est pas toujours idéal sur le bord du chemin !

Dimanche 14 - Je pars à 7h ce matin et je roule jusqu'à 20h15. J'arrête pour dîner. Le gars veut me vendre son poisson à 35 000 tenge (i.e. 5,80$ au marché noir). Je finis par payer 5 000 (i.e. plutôt 80 cents!)... Je déteste les « prix pour touristes ». Je campe dans le désert. 120km.

Lundi 15 - Le gars le plus cool rencontré aujourd'hui était kazakh. Il chantait dans ma face pendant que je dinais.
Je campe sur le bord de la route en construction. Il y a de l'ultra vent qui me souffle plein de sable dans la tente et du mazout dans le nez. 118km.

Mardi 16 - Je déteste profondément les déserts. Toujours plein de sable partout. C'est loin d'être bon pour l'électronique et mon équipement photo. Je suis sec de la face. J'ai un gros vent de face pendant des centaines de kilomètres car la route ne change pas de direction. Le flot incessant des camions me souffle du sable, de la fumée et du vent. Et ils me klaxonnent presque tous dans les oreilles.
Je ne veux plus jamais aller dans un désert.
Je campe à 75km de Bukhara... dans le désert. 96km.

Mercredi 17 - 5 jeunes arrêtent pour me parler. Ils prennent des photos avec moi. Une minute après, l'un d'eux garroche sa bouteille d'eau en plastique dans le champ. Je suis en beau fusil et je lui demande ce qu'il fait. Tout le monde s'en balance.
Le seul endroit dans la journée où je ne suis pas harcelé par des mouches est dans ma tente après les avoir tuées.
Journée difficile contre le vent, avec du piètre asphalte et beaucoup de camions. Je n'ai pas de patience pour les klaxons, ni pour rien d'ailleurs. J'arrive finalement à Bukhara et dors à l'auberge. 74km.

La complexité de l'Ouzbékistan

Tout n'est pas toujours difficile. Cette petite-fille du propriétaire d'une maison de thé a égayé ma journée avec sa joie et ses sourires constants.

En plus du mauvais chemin et des conditions climatiques, mon moral était aussi affecté par le fait que l'Ouzbékistan est pleine de règles et d'étranges difficultés.

Normalement, j'aurais dû devoir dormir à un hôtel au moins aux trois jours pour satisfaire l'immigration. Évidemment, je ne le fais pas à cause des distances entre les villes et par souci d'économie. Je remets ce manque de papiers d'enregistrement à plus tard, à la sortie du pays !

De plus, il n'y a pratiquement pas de guichets automatiques dans le pays, et il est impossible d'utiliser une carte de crédit étrangère peu importe où l'on se trouve. Tout doit être en argent. Mais comme le taux de change officiel est la moitié de ce qu'il est au marché noir, la seule monnaie importante à posséder est de l'argent américain.

L'argent kazakh qu'il me restait au passage de la frontière équivalait à 63$. Après avoir étiré ce montant sur deux semaines, je réussirai finalement à obtenir de l'argent américain d'un guichet à Bukhara. Tout ceci dans un pays où le coût de la vie est plus élevé que pour les pays voisins, et pour lequel obtenir un visa est long, coûteux et complexe.

Bukhara

Les sympathiques Françaises Margot et Anne.

Avec tout ça, tu comprends que je suis soulagé et heureux de me poser à Bukhara pour quelques jours. Après une heure ou deux à l'auberge, je redeviens l'heureux touriste que je suis normalement.

Je fais bientôt la rencontre de Charles, un Belge, et des charmantes Françaises Margot et Anne. À quatre, nous visitons la ville, ses musées, ses mosquées et ses petites rues.

J'apprends que Margot et Anne se sont connues à l'université à Strasbourg, et que Margot a ensuite étudié à Taïwan avant de revenir travailler à Paris. Après son voyage en Asie centrale, elle quittera Paris pour aller travailler presque bénévolement avec les réfugiés à Calais. De son côté, Anne vient juste de terminer un contrat de six mois au Tadjikistan, et est à la recherche d'un autre contrat où le vent la portera.

Vous comprendrez qu'on a pas mal parlé voyages et aventures !

D'ailleurs, à Bukhara comme ailleurs en Ouzbékistan, le pays m'apparaît réellement être une destination très populaire pour les Français. Je crois que ceci est en partie dû au marketing qui est fait en France, ce qui entraîne éventuellement une certaine vague de touristes recherchant quelque chose de différent.

Mais peu importe la raison, ceci fait mon bonheur, et me permet de pouvoir parler français, ce qui est plus rare depuis les derniers mois. Mes gentilles demoiselles faisaient quelquefois semblant de comprendre mes expressions du terroir, mais l'absence de réponse de leur part et certains regards interrogateurs trahissaient leur manque d'expérience de mon accent pur !

La mosquée Kalon de Bukhara, bâtie au début du 16e s.

Le madrasa (ou école) Mir-i-Arab, où on y enseigne la religion.

Et maintenant ?

Nos chemins respectifs se sépareront une fois de plus trop rapidement. Le quotidien des touristes et des voyageurs étant fait de déplacements, de visites trop rapides, et de rencontres magiques dans de magnifiques endroits.

Avec mes vêtements nettoyés et mon vélo huilé, me voici donc de nouveau en route vers l'est, pour une dernière ligne droite en Ouzbékistan.