Connais-tu Hernán ?

Comment un café dans une station-service de village m’a amené à séjourner dans une famille, visiter un moulin à farine et faire une entrevue en espagnol.

J’ai moins de 20 km au compteur lorsque j’entre dans une petite station-service de la localité de Berabevú en Argentine pour prendre un café. Il y a beaucoup de vent et la circulation qui passe proche de mes sacoches me pèse. Puis, presque chaque station possède une bonne machine à espresso en Argentine.

« Connais-tu Hernán Tarre ? » me demande immédiatement l’un des quelques clients réguliers sur place. Non, évidemment pas. « Ah d’accord, me répond-il, c’est parce qu’il fait la même chose que toi. »

Pendant que les autres clients sont presque à se chamailler pour savoir qui m’offrira mon prochain café, on m’explique davantage. Ce fameux Hernán est un jeune d’une vingtaine d’années du village qui est parti en vélo vers le nord du continent il y a presque une année déjà. L’auteur de la question me pointe alors vers le compte Instagram du voyageur. Le jeune cycliste a constamment un sourire collé au visage et est déjà rendu en Colombie après 10 mois. Tout en transportant encore plus de stock que moi.

Je m’abonne à son compte et, immédiatement après, Hernán m’envoie un message. On lui a déjà dit qui j’étais et que je me trouvais chez lui. Après 2 ou 3 phrases, il me propose déjà « d’aller me reposer chez ses parents ». Ce n’est pas avec mes 20 km que je suis bien fatigué, mais j’accepte pour l’histoire.

Deux coins de rue plus loin, sa mère Alejandra m’attend devant sa maison en béton et me fait de grands signes de bienvenue.

La famille Tarre

Alejandra est mariée à Omar, avec qui elle a eu 3 enfants. Deux filles en plus de Hernán. On m’installe dans l’ancienne chambre de ce dernier puis je reviens à la cuisine pour parler au couple.

Alejandra vient de Neuquén, une province argentine plus au sud du pays. Omar vient du village voisin. Ils se sont rencontrés alors que ce dernier voyageait en auto à 25 ans pour « découvrir son pays ». Omar parle d’ailleurs beaucoup, et très vite ! C’est certes intéressant mais j’ai besoin de toute ma concentration pour ne perdre le fil en espagnol argentin. Je reçois quelques regards complices de sa femme et de Micaela, sa fille aînée de 24 ans, qui semblent me partager « c’est notre quotidien ! ».

Puis comme je suis aussi invité à souper, la conversation se déplace dans la pièce d’asado. L’asado argentin est plus qu’un simple BBQ sur braises, c’est presque un mode de vie. La majorité des maisons ont un foyer avec des grilles sur une terrasse adjacente à la maison, ou parfois même directement à l’intérieur de celle-ci. La cuisson est longue et est aussi un prétexte pour placoter.

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Micaela, testant une nouvelle recette de macarons.

Micaela, testant une nouvelle recette de macarons.

Omar m’explique ainsi en replaçant ses bûches, les saucisses et l’agneau qu’il a grandi sur une ferme de 80 hectares avec ses parents. Dès 12 ans, il a quitté l’école pour travailler aux champs, jusqu’à ce qu’il ait 18. Le service militaire était obligatoire jusqu’en 1995 en Argentine. Omar s’est donc conscrit pour une année, en 1984. Il a raté la guerre des Malouines (Falklands) de peu.

Après son service, il est revenu dans son village. Il a occupé divers travails agricole, comme la majorité des habitants en Argentine rurale. Il travaille maintenant au moulin à farine local depuis quelques années.

Pendant ces histoires, sa fille aînée Micaela s’est mise aux fourneaux. Elle m’explique avoir étudié en mathématiques à l’université mais détestait la vie urbaine. Elle a réalisé au même moment que c’était la pâtisserie qui la passionnait le plus. Elle est donc revenu à Berabevú et travaille maintenant dans une boulangerie. Chaque soir, elle cuisine en plus des pâtisseries à son compte. Soit pour des clients qui lui font des commandes spéciales, soit pour essayer des nouvelles recettes comme c’est le cas ce soir avec d’incroyables macarons colorés.

Devant mon intérêt, elle me montre quelques-unes de ses créations sur son téléphone. C’est franchement incroyable ! Il y a des thèmes de dinosaures, de première communion, de jeux vidéo… Dans tous les cas, il y aplusieurs étages et beaucoup de détails. On est loin du gâteau McCain !

Je vais au moulin

En entrevue à la télé communautaire de Berabevú, à même la table de cuisine de mes hôtes.

En entrevue à la télé communautaire de Berabevú, à même la table de cuisine de mes hôtes.

J’avais prévu ne demeurer qu’une journée chez mes hôtes mais le lendemain, Omar m’invite à visiter dans l’après-midi son lieu de travail : le moulin à farine du village. Je ne veux pas passer à côté de cette occasion.

J’en profite pour laver mes vêtements en avant-midi. Je vais ensuite les suspendre dans la cour arrière, sur la corde se trouvant près d’un citronnier et d’un oranger. Alejandra m’appelle au même moment. Un journaliste m’attend dans la cuisine !

Omar avait profité de ma deuxième journée au village pour aussi appeler la télévision communautaire locale ! Le journaliste Adrian débarque donc à la maison pour me faire une entrevue. J’explique notamment sur mon voyage et mes destinations, et comment je me suis retrouvé dans cette maison. Puis il viendra lui-même me conduire au moulin sur son scooter !

Le moulin a ouvert il y a 4 ans et Omar y travaille depuis. C’est une coopérative qui regroupe une centaine de fermiers à 50 km à la ronde. La visite est très intéressante et Omar n’est évidemment pas avare d’explications ! J’apprends sur les différentes machines, sur les fermes avoisinantes et sur la livraison qui part quotidiennement avec des centaines de sacs de farine.

Je rencontre aussi notamment un technicien de laboratoire qui m’explique qu’il doit constamment faire des tests sur la farine pour garder une uniformité du produit. Il teste entre autre pour l’humidité et ajuste les recettes pour ses additifs et vitamines. Le type de céréales, les sols de chaque ferme, les saisons, périodes de la récolte et même la météo sont tous des facteurs qui doivent être pris en compte lors des mélanges.

Avec le grand bruit ambiant, l’accent argentin et le vocabulaire technique, je n’irais pas à dire que j’ai tout compris, mais c’était fort intéressant !

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Profiter de la vie

Omar a beau avoir commencé à travailler très jeune, il n’en est pas moins un philosophe. Au long de nos longues conversations, il me dévoile petit à petit ses plans futurs. Et quelques belles perles, comme lorsqu’il me dit aimer apprendre.

« Les connaissances ne prennent pas de place. »
- Omar Tarre

Et c’est d’ailleurs dans la direction de profiter de la vie qu’il souhaite aller. Il me dit prévoir redevenir employé temporaire sur une ferme dans environ un an pour avoir le loisir de travailler moins. Il aimerait aussi s’acheter un colectivo (un petit autobus) qu’il arrangerait lui-même et qu’il pourrait utiliser pour faire des petits voyages de 2 ou 3 semaines. Et ainsi redécouvrir les campagnes de son pays comme il l’avait fait dans sa vingtaine. « Je veux profiter de la vie, me dit-il. J’en ai maintenant moins devant que derrière moi. »

Bon voyage, Omar. Et merci à toute ta famille pour cet accueil, ces partages et cette générosité. J’espère que Hernán reçoit d’aussi belles invitations que celle que vous m’avez offerte.

Omar, Micaela et Alejandra Tarre.

Omar, Micaela et Alejandra Tarre.