Un beau grand bateau

Prendre un avion, c'est tricher. Prendre un bateau... c'est moins tricher ! C'est ainsi que je me suis retrouvé sur un porte-conteneurs en pleine mer de Chine.

Je vous parlerai dans mon prochain article de comment embarquer sur un tel navire. Ici, j'aimerais plutôt aborder le plaisir immense que j'ai eu à me promener d'un bord à l'autre de l'immense cargo pendant ces 8 jours en mer, entre Singapour et le port de Kaohsiung, sur l'île de Taïwan.

Je pensais avoir beaucoup de temps libre. Mais la semaine aura passé extrêmement rapidement. Même que j'en aurais pris deux fois plus longtemps ! Il faut dire que j'ai été pas mal occupé à filmer de la haute passerelle à la bruyante et étouffante salle des machines. J'ai aussi pu établir des liens avec plusieurs marins ukrainiens et roumains. Chose qui aurait vraisemblablement été plus difficile sur un bateau de croisière, où les employés doivent gérer plusieurs centaines ou milliers de touristes.

Avec ces images de l'eau et ces rencontres, j'ai même produit un petit documentaire.

Une usine sur l'eau

Olivier, le seul autre touriste à bord.

Olivier, le seul autre touriste à bord.

Contrairement à la croisière justement, c'est l'impression de faire partie d'un club sélect qui revient. Seuls Olivier, un enseignant Français, et moi nous trouvions comme touristes à bord du géant bâtiment de 300 mètres. Le bateau comptait aussi 26 membres d'équipage. Ce qui n'est pas non plus énorme pour un navire de cette taille.

Cette unique position nous permettait de nous fondre à l'équipage. Que ce soit pour les repas, des visites guidées, pour participer à l'exercice d'évacuation, ou simplement pour parler. Certains marins nous trouvaient quand même un peu étranges de payer pour demeurer sur leur lieu de travail qui ne compte aucune distraction. Un peu comme si nous couchions dans une usine durant une semaine, et que nous passions nos journées à regarder les travailleurs à l'oeuvre ! Sauf qu'ici, l'usine avance sur l'eau...

Chargement du bateau, au port de Singapour.

Chargement du bateau, au port de Singapour.

L'impressionnant capharnaüm de la salle des machines.

L'impressionnant capharnaüm de la salle des machines.

Le ciel et la mer

Et quand « l'usine » avance, les couleurs changent. On prend pour acquis que l'eau est bleue. C'est faux. Elle est bleue, certes, mais de toutes les teintes, du plus clair au plus profond. Elle peut être grise lorsque les nuages grondent, verte lorsque les îles s'y baignent, dorée lorsque le soleil y plonge.

« Le ciel et la mer sont notre musée, et les toiles se peignent sous nos yeux. »
- Lucian, 3e officier.

En plus des couleurs, il y a toujours un point où fixer son regard. Nous croiserons ou passerons un groupe de dauphins, des pêcheurs vietnamiens, d'autres cargos, et beaucoup d'oiseaux profitant du bateau pour pêcher. On verra même la garde côtière chinoise patrouiller autour du navire, alors même que nous nous trouvions en eaux internationales...

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Nous laissons l'Asie du Sud-Est dans notre sillage.

Nous laissons l'Asie du Sud-Est dans notre sillage.

Chaque entrée dans un port était aussi différente. Le relief pour arriver à la côte, qui se découvrait plus ou moins ouvert. Les villes aussi, grossissant de ce point de vue différent à mesure que nous approchions. Tout ceci me donnait sans cesse l'impression d'être un explorateur arrivant dans de nouvelles contrées.

À la queue leu-leu, en sortant du port de Hong Kong.

À la queue leu-leu, en sortant du port de Hong Kong.

Une vie au large

C'est ce sentiment que beaucoup des marins sur le bateau m'ont confié avoir recherché en s'enrôlant. Voyager gratuitement, découvrir des pays exotiques, l'attrait est fort pour un adolescent qui doit choisir une carrière. Mais très rapidement, ils réalisent qu'ils passent pas mal plus de temps entre les murs du bateau qu'à visiter de nouvelles contrées. En fait, ils ne peuvent que rarement débarquer à terre. Et même s'ils le font, ce n'est souvent que pour quelques heures.

L'Ukrainien Oleksandr, le maître d'équipage, m'a aussi confié que ça ne valait souvent pas la peine de débarquer en raison des dépenses importantes que ça occasionnait, ne serait-ce que pour se rendre du port au centre-ville. Le salaire du marin est correct tout au mieux, parfois même plus bas que la moyenne, selon les différents d'origine des travailleurs avec lesquels on compare.

C'est dans la majorité par manque d'opportunité professionnelle ou par tradition que les hommes – le bateau ne comptait aucune femme – se retrouvent en mer. Le plaisir de la nouveauté passé, peu semblaient aimer ce qu'ils faisaient. Beaucoup souhaitaient même trouver autre chose à terre qui leur permettrait d'être plus près de leurs proches. En moyenne, ils passent de quatre à six mois en mer, avant de revenir d'un à trois mois à terre puis de repartir. Ça ne laisse pas beaucoup de temps pour connaître ses enfants...

Oleksandr, maître d'équipage.

Oleksandr, maître d'équipage.

Bogdan, 3e ingénieur.

Bogdan, 3e ingénieur.

Lucian, 3e officier.

Lucian, 3e officier.

Le travail

Le travail des marins est varié sur le bateau. Des officiers ont constamment l'oeil sur les radars et sur la mer avec des jumelles. Ils doivent aussi constamment rechercher les meilleures routes en fonction de la météo.

Un navire comme celui sur lequel je me trouvais coûte environ 60 millions de dollars américains. Et ceci est la version chinoise à rabais. Une meilleure construction européenne ou de Corée vaudrait plutôt autour de 100 millions. Mais pour l'armateur, un ou l'autre ne change rien. Comme pour un t-shirt, la version de base est donc achetée, et les marins passent ensuite les deux premières années du navire à corriger les problèmes de confection.

Sur le pont, le maître d'équipage et son équipe s'affairent donc à peinturer, à répare et améliorer des portes, des câbles. À vérifier les extincteurs, les alarmes, l'électricité et la plomberie.

Aux machines, c'est la même situation, avec les capteurs, les valves et les filtres notamment.

Ça c'est surtout lorsque le bateau est en mer. Au port, des employés locaux chargent, déchargent et bougent de position les milliers de conteneurs se trouvant sur le cargo. D'autres employés grimpent à bord pour les attacher les uns aux autres. Les marins quant à eux s'occupe de la paperasse administrative, planifient les prochains itinéraires ou en profitent pour réparer les parois extérieur du bateau immobile.

Un grand respect

J'ai commencé à filmer des images avant même d'embarquer sur le bateau. J'espérais en tirer quelques time-lapses, des beaux clichés, mais je n'avais aucune idée encore de l'histoire. Après quelques jours et conversations, j'ai cependant compris que l'histoire serait bien plus sur la vie de ces marins que sur la couleur de l'eau.

Comprendre leur travail, leur vie, le temps passé sur le navire, tout ça m'a mis en perspective combien les (rares) passagers ont la vie facile. Pris sur le bâtiment, ils travaillent sept jours sur sept. Mais même durant les heures où ils ne travaillent pas, ils demeurent sur le bateau, sur appel, à la merci des problèmes et de la météo.

Ce métier est primordial. Nous n'y pensons jamais, mais sans eux, la majorité des marchandises ne pourrait circuler entre les différentes parties de notre planète. Que ce soit des matières brutes comme du riz ou du pétrole, ou des produits finis comme des automobiles ou des meubles.

Je ne pourrai certainement m'empêcher de penser à Oleksandr, Bogdan, Lucian et tous les autres la prochaine fois que je verrai une de ces étiquettes Made in China...

Hong Kong, vue de sa baie.

Hong Kong, vue de sa baie.