Le Roy de la montagne

Un vélo de 55 kg, sur le circuit de la course « la plus difficile du monde ». Ça sonne comme mon genre de défi !

 

 
Quelques centaines de mètres de la fameuse route qui n'en finit jamais de monter.

Quelques centaines de mètres de la fameuse route qui n'en finit jamais de monter.

Tout ce que je voulais c'est aller dans les montagnes. L'île de Taïwan, au large de la Chine, est reconnue pour être un paradis cycliste. Au centre du pays, on retrouve des paysages fantastiques sur ses routes qui grimpent jusqu'aux centaines de pics à plus de 3000 mètres d'altitude. Mais les options ne sont pas légion pour entrer aux montagnes par le sud, d'où j'arrive, et descendre vers le nord, où je veux aller.

Je repère l'une de ces options sur ma carte. Quelques jours avant de m'y rendre, Jacques Sennéchael, le rédacteur en chef du magazine Vélo Mag s'étonne de ce choix lors d'un échange de courriels.

- Tu vas monter le KOM Taiwan avec ton vélo de 120 livres ??
- C'est quoi le KOM ?
- Juste le parcours de la course la plus difficile du monde...

Je pense qu'un peu de lecture s'impose... KOM, c'est pour King of Mountain. J'apprends que ce que je m'apprête à faire passe du niveau de la mer à plus de 3275 mètres d'altitude en seulement 80 km. Avec un petit 25 km de faux plat pour se rendre au départ situé à l'entrée du parc national Taroko.

C'est là que j'ai décidé à contrecoeur de laisser tomber ma guitare et d'y aller « plus léger ». Reste qu'il me reste tous mes vêtements, ma nourriture, mes trucs de santé, de réparation de vélo, et mon équipement de camping. Ce dernier sera bienvenu car il est pas mal impossible que je réussisse à monter et descendre en une seule journée !

Ça part

Je m'arrête à l'un des derniers dépanneurs avant de débuter la vraie montée. À l'intérieur, j'y rencontre un couple de cyclistes qui ont deux sacoches derrière leur vélo. Voyant mon chandail de vélo, l'homme m'aborde avec beaucoup de fierté.

- Nous faisons le tour de l'île de Taïwan ! Toi ?
- Je suis parti d'Angleterre.
- Oh...

Les premiers 20 km de montée ne sont pas si dramatiques. J'arrête à l’un des derniers villages et demande le prix d'une chambre à un énorme Youth Activity Center. C'est plus de 100$ ! QWAT ?! Bon, j'ai sué, mais pas assez pour dépenser 4 jours de budget sur un lit dur. Je lui demande si je peux utiliser juste ses douches. Non, me répond-il presque insulté. Parfait, dis-je, en me dirigeant alors simplement vers les toilettes.

Après un lavage sommaire au lavabo, je repars à la recherche d'un premier emplacement de camping sur la montagne. Les options sont limitées par les falaises des deux côtés de la route. Je m'installe à quelques mètres de la route sur un promontoire et m'endors profondément.

Chaque virage en cache un autre dans cette longue montée de plusieurs jours.

Chaque virage en cache un autre dans cette longue montée de plusieurs jours.

Une populaire route

Je ne suis pas encore réveillé le lendemain matin que j'entends déjà passer des groupes de cyclistes les uns après les autres. Je vous ai déjà dit que les Taïwanais aiment explorer leur pays. C'est encore plus vrai ici. Tout le long du chemin, je ferai la rencontre de cyclistes de route. Je ne peux cependant pas m'expliquer comment ils font pour n'avoir qu'un seul bidon d'eau et pas de nourriture avec eux. Je comprends lorsqu'à un belvédère, je vois plusieurs fourgonnettes arrêtées avec différentes personnes en train de préparer des lunchs et du café. 

Soit que les cyclistes alternent la montée à vélo et la conduite du véhicule de ravitaillement, soit qu'ils ont littéralement payé une agence pour les aider dans ces petites vacances sportives d'une ou deux journées. En faisant plus de kilométrage et en partageant leurs coûts, ces cyclistes dorment aussi dans les quelques rares hôtels sur la montagne. 

Je suis donc le seul en autonomie complète. Et à chacun de mes arrêts, je crée la surprise en arrivant parmi eux avec mon chargement. Ce qui fait qu'on m'offre plusieurs collations et cafés gratuits en échange de mes efforts !

Jack (à droite) avec ses amis.

Jack (à droite) avec ses amis.

Entouré de James et Luke.

Entouré de James et Luke.

Ça continue de monter

Le cap du 20 000e kilomètre depuis mon départ d'Angleterre est franchi dans cette montée mythique.

Le cap du 20 000e kilomètre depuis mon départ d'Angleterre est franchi dans cette montée mythique.

Je monte toute la deuxième journée. Je ne réussis à faire que 34 km, mais je passe de 850 à 2100 mètres d'altitude. Je m'arrête pour parler aux gens, pour manger, et prendre des photos. Dont ma photo officielle du 20 000e kilomètre franchi depuis mon départ d'Angleterre.

Puis je campe à nouveau pas très loin de la route. La température est cependant plus confortable et je me réveille motivé pour ma troisième journée de grimpe.

Ça continue de bien se passer jusqu'à ce que j'arrive à mes derniers 10 km avant le sommet. Là, c'est un véritable mur. L'inclinaison atteint presque 30% pour une section. Mon front perle de sueur malgré la température relativement froide. Je dois parfois zigzaguer d'un bord à l'autre de la route pour tenter d'amoindrir la côte.

Je pousse sur mes pédales assis. Je pousse sur mes pédales debout. Je me parle et me motive moi-même. Et je continue d'avancer.

Dans une section à 27% d'inclinaison... Qui dit mieux ?!

Dans une section à 27% d'inclinaison... Qui dit mieux ?!

Petite pause dans l'air froid alors que le soleil achève sa course quotidienne en projetant de longues ombres sur les montagnes.

Petite pause dans l'air froid alors que le soleil achève sa course quotidienne en projetant de longues ombres sur les montagnes.

Le Roy de la montagne

J'arrive enfin au sommet à la toute fin de ma troisième journée. Quelques photos et il fait déjà noir. Heureusement, j'avais repéré un bel emplacement plat quelques centaines de mètres plus bas. Je reviens un peu sur mes pas et, enjambant le garde-fou, je m'y installe à la lumière de ma lampe frontale.

Le sommet dénué de végétation, à près de 3300 mètres d'altitude.

Le sommet dénué de végétation, à près de 3300 mètres d'altitude.

La nuit s'annonce froide et je n'ai pas beaucoup de vêtements chauds avec moi en cette saison estivale. Je mets les couches que j'ai et sors mon sac de couchage en duvet. La nuit sera peut-être froide, mais l'incroyable vue et le sentiment d'accomplissement que je ressens me gardent au chaud.

La nuit tombe dans les montagnes taïwanaises.

La nuit tombe dans les montagnes taïwanaises.

En m'endormant, je repense à toutes ces personnes rencontrées dans cette montée. Qui m'ont souhaité avec de grands sourires la bienvenue à Taïwan, et bonne chance pour cette montée. Ce sont eux qui m'ont poussé de leurs encouragements jusqu'au sommet. Maintenant, il ne reste plus qu'à descendre !

Nuit froide et bleutée au sommet du mont Wuling.

Nuit froide et bleutée au sommet du mont Wuling.

Réveil sur la montagne. Il ne reste maintenant qu'à descendre !

Réveil sur la montagne. Il ne reste maintenant qu'à descendre !