Le côté sauvage de l'Outaouais

Impossible de manquer le vaste parc de la Gatineau qui, sur la carte de l’Outaouais, s’élargit comme la fumée d’un feu de camp. En le combinant aux voies cyclables de la Route verte, j’ai été attiré par ses nombreux sentiers, lacs et étendues de forêt qui semblaient m’inviter personnellement.

Cet article a d’abord paru dans l’excellent magazine Vélo Mag, édition mai 2022.
Vous trouverez aussi une vidéo produite pour la websérie de la Route verte au bas de l’article.


Devant la station de ski Camp Fortune (crédit Guillaume Milette)

Attiré aussi par ces lieux, William Lyon Mackenzie King y achète une résidence d’été en 1903. Puis, afin d’éviter davantage de coupes forestières liées à la crise économique des années 1930, l’homme politique devenu premier ministre du Canada crée le parc de la Gatineau, en juillet 1938.

Mon ami Guillaume et moi grimpons d’abord doucement vers l’intérieur du parc via les promenades de la Gatineau. La jubilatoire voie asphaltée entourée de hauts arbres est en partie réservée aux cyclistes et aux coureurs (voir l’horaire sur le site de la Commission de la capitale nationale). Nous nous arrêtons une première fois au belvédère du magnifique lac Pink, nommé non pas en raison de sa couleur, mais en l’honneur d’une famille établie ici peu après 1830. Le lac doit sa teinte au fait que ses eaux ne se mélangent pas, privant d’oxygène le tiers le plus profond et permettant à une bactérie se nourrissant de soufre d’y vivre.

Le Parc de la Gatineau, vu des airs (crédit Guillaume Milette)

L’ami Guillaume sur l’asphalte parfait du Parc de la Gatineau

Jacob Saumur-Gouin, copropriétaire des Nomades du Parc à Chelsea

Plus loin, au village de Chelsea, nous pique-niquons sur la terrasse de Nomades du Parc avec les copropriétaires Vincent Bergeron et Jacob Saumur-Gouin. Les deux vingtenaires, qui ont grandi sur les pistes du parc, me confirment que mes recherches dans Google Maps en mode Street View ne m’ont pas trompé : il est possible de nous engager avec nos vélos de gravelle et nos sacoches dans une série de sentiers de vélo de montagne. « Vous allez être super à l’aise… sur 90 % du parcours ! » nous assure Vincent.

Section plus sportive

Les fameux 10 % restants se trouvent tout juste avant les ruines Carbide Willson, un peu en retrait du sentier 36, qui longe le lac Meech. La route en terre battue et en poussière de roche devient plus inclinée, nous lançant quelques défis sous forme de plus gros rochers qui nous accrochent un sourire de gamin sur le visage.

Les ruines surplombant la cascade du ruisseau Meech sont les anciennes installations d’un pionnier de l’industrie électrochimique en Amérique du Nord, Thomas Leopold « Carbide » Willson. Ce carbide, ou carbure, était jadis la meilleure solution pour éclairer les mines.

Les ruines Carbide Wilson surplombent la cascade du ruisseau Meech.

Pascal Samson, spéléologue amateur, rencontré à la caverne Lusk. (crédit Guillaume Milette)

Coucher de soleil sur le lac Philippe (crédit Guillaume Milette)

Une maison ancestrale

Hormis les rares fois où on roule sur de plus grosses pierres qui nous obligent à mettre le pied à terre, le sentier 36 nous amène assez aisément jusqu’à une maison ancestrale. Celle-ci, accessible seulement par le lac Meech, semble perdue dans une petite clairière sans issue. Par hasard, ses propriétaires – qui n’y résident que quelques semaines par année – sont à l’extérieur et nous y invitent.

Avec Lauralyn Johnston et son mari, devant la maison ancestrale au cœur du Parc

Lauralyn Johnston me confie que la résidence de ferme a été construite entre 1790 et 1810 au milieu d’une forêt à défricher. C’est son arrière-grand-père qui céda la résidence sans électricité au gouvernement lors de la création du parc de la Gatineau, tout en réservant à sa famille le droit de continuer à l’habiter en la louant.

L’attaque de ratons

L’après-midi est déjà avancé, mais Guillaume et moi désirons tout de même faire un aller-retour pour contempler l’impressionnante caverne Lusk, formée par la pression de la fonte de glaciers il y a 12 500 ans et dans laquelle on peut marcher sur près de 200 m.

Puis, juste avant la noirceur, c’est au camping du lac Philippe que nous installons enfin nos tentes. Des affiches dans les toilettes incitent les campeurs à ranger la nourriture dans le coffre de leur auto afin d’éviter la visite de ratons laveurs. Une telle cachette étant exclue, et trop fatigués pour en trouver une autre, nous sommes réveillés au milieu de la nuit par une douzaine de ces voleurs masqués, grimpés sur nos vélos en quête de nos carrés de Rice Krispies achetés à Chelsea. L’un d’eux a même déjà réussi à ouvrir mon sac de cadre avec ses longues griffes et ne s’éloigne même pas lorsque je le sermonne à la lumière de ma lampe frontale !

Le déluge

Le lendemain matin, les yeux un peu bouffis par ces combats nocturnes, nous sortons du parc par le nord. Au croisement de la route 366 près de Saint-François-de-Masham, nous virons à gauche en direction de Lac-des-Loups, une douzaine de kilomètres d’accotement plus loin. Au lac éponyme, de larges gouttes commencent à nous tomber dessus. Nous n’avons d’autre choix que de prendre une pause poutine au casse-croûte du village. Après avoir gravi les quatre marches du dépanneur local, nous constatons avec surprise que nous avons remonté dans le temps, admiratifs devant la sélection de cassettes VHS à louer.

Guillaume roule sur la garnotte du chemin Ragged Chute, à Bristol.

L’ondée ne faisant que s’amplifier, nous décidons de la braver en empruntant le très mal nommé chemin Lionel-Beausoleil, qui change deux fois de nom pour devenir le beaucoup plus à propos chemin Ragged Chute. L’asphalte a fait place à un revêtement sablonneux dont les particules mangent vite nos patins de frein. Si rapidement que je ne réalise qu’au milieu d’une abrupte descente que mes manettes de frein sont maintenant inutiles. Inspiré par Fred Caillou, je me ralentis en traçant de longues traînées à l’aide des talons de mes souliers à clip.

Sauvés à la ferme

J’avais déjà prévu une entrevue avec Laird et Gayle Graham à leur ferme d’élevage d’alpagas. Nous voyant arriver ruisselants et couverts de terre, le couple de retraités bonifie son invitation, nous offrant une douche, puis un souper et éventuellement un lit !

Il y a une quinzaine d’années, prévoyant leur retraite, les Graham se sont acheté quelques alpagas. Ils en possèdent aujourd’hui une trentaine, en plus de plusieurs autres animaux comme des poules et des chèvres. « Les alpagas ont chacun leur propre personnalité, raconte Gayle. Ils sont aussi curieux et très apaisants. »

La ferme de Willow Lane, à Bristol, est le paradis des alpagas. (crédit Guillaume Milette)

Laird Graham, notre sauveur, et son chien Ben (crédit Guillaume Milette)

Les bêtes sont tondues une fois l’an, mais presque tout le reste de l’année, le couple doit trier à l’aide d’un tamis les fibres laineuses selon leur longueur et leur qualité – de loin le travail le plus long.

Avant de dire au revoir à nos sauveurs, je bourre un peu plus mes sacoches de semelles et de chaussettes, sans oublier le miel de leurs abeilles.

En descendant la rivière

Nous passons par le Cycloparc PPJ, situé presque derrière la ferme, avant d’emprunter la longue route 148 qui suit la rivière des Outaouais pour nous diriger vers le charmant secteur d’Aylmer. La plus grande rivière du Québec, baptisée du nom francisé de la nation autochtone des Outaouais, trace une bonne partie de la frontière avec l’Ontario.

À partir d’Aylmer jusqu’au Musée canadien de l’histoire, nous roulons doucement non loin de l’eau, encerclés par les arbres bordant la piste cyclable du sentier des Voyageurs.

Cet itinéraire de trois jours aura été l’un de mes plus marquants sur la Route verte. La diversité des routes et des paysages y est pour beaucoup. Surtout, l’accueil chaleureux et la grande générosité des gens m’auront encore démontré que le voyage à vélo – tant par beau temps que par mauvais temps ! – est la meilleure façon de remplir ses sacoches et sa mémoire de magnifiques souvenirs.

La rivière des Outaouais et la route 148, aux environs de Luskville (crédit Guillaume Milette)

Égoportrait sur la rivière des Outaouais à Aylmer (crédit Guillaume Milette)

Repères

Itinéraire: 157 km en trois jours. Voir sur Google Maps.
Dénivelé: 920 m

Pistes cyclables empruntées:

  • La Commission de la capitale nationale offre sur son site une carte interactive des sentiers d’été dans le parc de la Gatineau.
  • L’ancienne voie ferrée de la Pontiac Pacific Junction a été transformée en Cycloparc PPJ, une piste cyclable et un parc naturel de plus de 90 km dans la MRC de Pontiac.
  • Le Sentier des Voyageurs, qui fait partie de la Route verte 1, serpente doucement sur une vingtaine de kilomètres entre Hull et Aylmer.
  • MES BONNES ADRESSES

    • En plus de ses campings et de ses 183 km de sentiers d’été, le Parc de la Gatineau peut compter sur plusieurs attraits qui valent le détour. Vous trouverez de splendides jardins au domaine Mackenzie-King et découvrirez une page de l’histoire scientifique canadienne dans les ruines Carbide Willson, en plus de vous initier à la spéléologie dans la caverne Lusk.
    • Nomades du Parc, au 10, chemin Scott, à Chelsea, propose des expériences guidées dans le parc de la Gatineau ainsi que la location de vélos de montagne et de planches à pagaie.
    • Une visite à la ferme des Alpagas de Willow Lane, sur la route 148, à Bristol, se révèle fascinante et nous en apprend un peu plus sur ces adorables bêtes.
    • Le Jardin de Fabie, sur la route 148, à Quyon, cultive des légumes en permaculture, avec l’aide de chevaux canadiens. Les produits sont vendus au kiosque sur place ou par la distribution de paniers.

    Le Bon monde de la Route verte est une websérie en 10 épisodes, que j’ai produite pour Vélo Québec. Tous les épisodes sont disponibles gratuitement ici.