L’extraordinaire Carretera austral

Au sud du Chili se trouve la Carretera austral, l’une des routes les plus légendaires pour les cyclovoyageurs les plus hardis. C’est mon genre de route, ça !

Sur une longueur d’environ 1240 km – à moitié non pavée – on retrouve une incroyable variété de paysages. Des lacs bleu azur, des fjords luxuriants, plusieurs volcans encore actifs, des glaciers partout où le regard se pose. Et à mesure que l’on remonte vers le nord et une température plus clémente apparaissent des forêts d’immenses pins et d’autres presque tropicales.

Il y a pratiquement ici davantage de cascades que d’habitants.

Il y a pratiquement ici davantage de cascades que d’habitants.

L’histoire

Les 1240 km de la carretera austral.

Les 1240 km de la carretera austral.

La route a été construite dès 1976, mais particulièrement dans les années 1980 sous le gouvernement dictatorial du général Augusto Pinochet. À l’époque, la seule façon de se rendre dans toutes ces petites communautés isolées était de passer par l’Argentine. Mais dans un climat de tension avec l’Argentine voisine, surtout après que le Chili eut appuyé le côté britannique lors de la Guerre des Malouines (Falkands), le développement d’une meilleure route du côté chilien devint davantage nécessaire.

Dix mille soldats s’attelèrent à la tâche pour construire des dizaines de ponts et déplacer des millions de tonnes de roches. La construction continue encore aujourd’hui. Plus lente, mais faisant son chemin vers le Sud, pour progressivement remplacer la gravelle par de l’asphalte.

Et malgré la longueur de la route, la population desservie n’est d’environ qu’une centaine de milliers, dont près de la moitié se trouvent à Coyhaique, la plus grande ville de la région. La densité de cette région, d’à peine un habitant par kilomètre carré, est en fait l’une des plus faibles au monde. Seuls les îles Svalbard en Arctique, les îles Malouines et le Groenland ont des densités encore plus petites.

Quelques bâtiments de ferme.

Quelques bâtiments de ferme.

Arturo et Luzmira, qui accueillent les cyclistes dans leur maison le long de la carretera.

Arturo et Luzmira, qui accueillent les cyclistes dans leur maison le long de la carretera.

La pluie

L’endroit est peut-être faiblement peuplé, mais la pluie y est certainement présente ! Dans certaines vallées, il tombe pas moins de 4000 mm de pluie par année. C’est 600 mm annuellement à Londres, pourtant réputé pour son climat humide !

Aux environs de Puerto Yungay, encore au début de la Carretera, la pluie s’abat sur Freddy et moi quotidiennement pour toute la journée. Nous reprenons parfois espoir quelques minutes lorsque quelques rayons réussissent à percer les nuages, mais nos joies sont toujours de courte durée. La pluie revient sans cesse moins de deux minutes après. Et comme il fait aussi assez froid, mes pantalons de pluie et mes gants de vaisselles pour garder mes gants au sec me sont plus utiles que jamais.

Précipitations sur le lac Chacabuco.

Précipitations sur le lac Chacabuco.

Un regard qui en dit long de l’ami Freddy.

Un regard qui en dit long de l’ami Freddy.

Nous réussissons néanmoins à avancer vers le nord sur cette longue route de gravier. Les montées ne sont pas si difficiles (merci aux 10 000 soldats de Pinochet), et il y a encore ici plusieurs vieilles cabanes abandonnées où il est possible de s’abriter. Puis, à mesure que les jours se passent, la pluie devient plus rare et il est même possible de commencer à faire un feu aux bivouacs du soir.

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À mesure que les nuages se dissipent, la nature dans ce sud du Chili apparaît encore plus magistrale. J’enlève mon capuchon, mes couvre-chaussures, quelques couches de vêtements, et prends une énième pause contemplation. Les montagnes se dévoilent de beauté, avec des glaciers presque partout à l’horizon. Les lacs sont turquoises, les cascades et grandes chutes omniprésentes et pures.

Descente vers le Lac Bertrand.

Descente vers le Lac Bertrand.

L’ami Freddy au loin.

L’ami Freddy au loin.

Les animaux

Parmi les quelques habitants de la région se trouvent des gauchos, ces fermiers sud-américains. Je croise une journée une famille d’entre eux, du grand-père au petit-fils, tous sur des chevaux et amenant un troupeau de vaches d’un pâturage à un autre. Le jeune héritier doit n’avoir qu’à peine 6 ans. Il semble minuscule sur son grand cheval et on lui a fabriqué de petits étriers sur mesure. Il est pourtant bien à l’aise en selle, et certainement à la mode avec ses petites bottes de pluie sur lesquelles on trouve des dessins d’autos de course ! Toute la famille porte le même béret typique de la région.

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Route populaire

Malgré cette difficile route souvent ondulée en planche à laver, il n’est cependant pas surprenant que beaucoup d’autres cyclistes soient venu comme moi ici pour profiter de cette nature grandiose. Je peux parfois croiser presque 20 cyclistes en une seule journée. C’est exceptionnellement beaucoup pour le genre de routes que je parcours. Les autres voyageurs sont Européens pour la plupart : Anglais, Allemands, Français, Hollandais. On trouve aussi beaucoup de Sud-Américains, reconnaissables de loin à leur équipement généralement différent et un peu plus éclectique. Tous viennent rouler environ un mois sur ce long chemin. Au moins la moitié d’entre eux ne font que la Carretera lors de vacances de quelques semaines. Et plusieurs ont même loué des vélos sur place.

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En plus de cyclistes, on retrouve aussi des voyageurs à bord de véhicules récréatifs. Ces gros camions nous englobent dans d’horribles nuages de poussière à chaque fois qu’ils nous dépassent à grande vitesse. Et comme la route est très étroite, ceci nous force périodiquement à nous tasser dans la roche encore plus molle des côtés. Comme la vue continue d’être incroyable, j’en profite cependant souvent pour m’arrêter. Ce que les automobiles font beaucoup moins. Certains de ces touristes dorment, ratant du coup les couleurs des vallées. D’autres s’arrêtent pour quelques secondes à peine afin de prendre une photo sans même débarquer de leur véhicule…

La beauté du voyage à vélo est que chaque sommet d’une montée cache une surprise de l’autre côté. Chaque tournant arrive si lentement que le paysage se découvre comme un cadeau. Et puis à quelques dizaines de kilomètres par jour, on a le temps d’absorber lentement la topographie et le changement de végétation.

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Route difficile

Mais la difficulté de la route et l’éloignement de la région préviennent encore un afflux trop important de touristes recherchant davantage de confort. Avec l’asphaltage de la route viendra éventuellement plus d’hôtels et de meilleurs campings. Davantage de cyclistes aussi, d’autobus, et de véhicules de toutes sortes comme les camions de transport, ces horribles boites de métal qui font tant de bruit sur leur passage.

Avec l’asphaltage viendra aussi les bouteilles en plastique et les cannettes de Red Bull remplissant les fossés. Les mégots de cigarette, et la musique enterrant le bruit des oiseaux. J'espère que ce moment n'arrivera pas même si je sais que c’est presque inévitable, ici comme ailleurs. Nous sommes constamment à la recherche de nouveaux endroits exotiques à visiter.

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Mais pour l’instant, le camping sauvage est encore possible. Je me lave dans des rivières descendant directement des glaciers, je bois l’eau directement des innombrables cascades, j’écoute le bruit des oiseaux et je m’endors au quotidien sous une voie lactée multicolore.

La Carretera austral est encore extraordinaire.

 
Jonathan B. Roy

Auteur, journaliste, vidéaste et conférencier, Jonathan B. Roy raconte des histoires depuis 2016.

http://jonathanbroy.com
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