Une semaine d'attente

De retour à Santiago au Chili, mon plan était de repartir sur la route après quelques jours. C’était sans compter sur l’hiver dans les montagnes.

Mes amis chiliens Francisco et Daniela, qui m’ont hébergé plusieurs semaines au total à Santiago.

Mes amis chiliens Francisco et Daniela, qui m’ont hébergé plusieurs semaines au total à Santiago.

En arrivant précédemment en vélo de l’Argentine par le col Los Libertadores, ou en allant visiter Valparaíso sur la côte, j’avais directement pu constater que Santiago est logée au fond d’une vallée, entre deux chaînes de montagnes. En fait, toute la longueur du Chili est coincée entre la cordillère des Andes et l’océan Pacifique. Et pour sortir du pays et rouler vers l’est, il n’y a pas beaucoup d’options. Il existe bien quelques cols dans les montagnes tout au long de la frontière entre les deux pays, mais la majorité d’entre eux sont complètement fermés tout l’hiver (car oui, nous sommes en hiver ici dans l’hémisphère sud). Ce que je ne savais pas, c’est que même les cols principaux sont parfois fermés pour d’assez longues périodes en fonction de la météo.

L’hiver n’est pas si froid à Santiago. Entre zéro à dix degrés environ. Mais 3000 mètres plus haut, le mercure oscille souvent entre -20 et -25. Définitivement trop froid pour passer à nouveau à vélo. Mon plan était donc de prendre un autobus qui me déposerait à la première ville de l’autre côté. De toute façon, j’avais déjà fait la route en sens inverse. Le lundi matin, je pars donc de l’appartement de Francisco et Dani, qui m’hébergent une fois de plus, vers le terminal d’autobus. C’est presque une heure de roulade en ville simplement pour s’y rendre. Mais sur place, la dame au comptoir me pointe une affiche. Le col est fermé. « Pour combien de temps ? ». « Aucune idée. », me répond-elle un peu blasée. Même si j’avais acheté mon billet sur internet, je n’avais reçu aucun message m’indiquant ceci. Leçon à apprendre : trouver les informations par moi-même.

Je reviens donc à l’appartement de mes amis, et contacte la compagnie d’autobus qui repousse mon billet au lendemain. L’affiche me disait aussi de consulter un compte Twitter gouvernemental. C’est ce que je ferai… pour une semaine.

Santiago en hiver, avec la cordillère des Andes en arrière-plan.

Santiago en hiver, avec la cordillère des Andes en arrière-plan.

L’attente

Après quelques jours à repousser mon billet d’autobus d’une journée à l’autre, j’ai simplement décidé de l’annuler complètement. L’information sur l’état du col n’était fournie qu’au compte-goutte. Sur Twitter, une ligne laconique était écrite une ou deux fois par jour par les employés au sommet du col pour indiquer que celui-ci était toujours fermé dû au brouillard, à la glace, au vent fort ou aux précipitations de neige . Mais jamais rien sur l’ouverture possible. Peut-être en partie pour cela, de plus en plus de gens des deux côtés des montagnes répondaient assez sèchement à mesure que les jours s’additionnaient. Beaucoup de voyageurs sont restés pris sans pouvoir retourner chez eux pendant toute cette semaine. Parfois avec des enfants, souvent à devoir payer des frais d’hôtel. Le col ouvert le plus près étant à plus de 1000 km au nord, la seule autre option est l’avion, qui coûte cependant quelques dizaines de fois plus cher. Une option certainement pas possibles pour les plusieurs centaines de camions de transport aussi en attente.

Malgré mon désagrément d’être pris en ville, je me compte cependant extrêmement chanceux d’être hébergé gratuitement chez des amis, et de ne pas réellement avoir d’horaire fixe à respecter. Néanmoins, tôt chaque matin, je mettais mon alarme pour vérifier si je pourrais aller prendre l’autobus. Déçu chaque fois, je faisais donc autre chose dans la journée. Comme accepter l’invitation de Francisco d’aller marcher en montagne.

Montagne et smog

Mon hôte est un intense. Maintenant amateur de CrossFit (que j’ai aussi essayé au risque de mourir sur place), il a fait de la compétition de vélo, et du mountaineering extrême dans sa vingtaine. Notre sortie n’est qu’une marche pour lui. Et presque de l’escalade pour moi ! Ça monte raide, longtemps, et ça glisse !

À peine aux frontières de la ville se trouvent plusieurs possibilités pour marcher en altitude. Nous passerons ainsi de 500 m d’altitude à près de 2000, tout en ayant l’impression de pouvoir encore toucher la ville. Celle-ci, cependant, se cachait derrière un épais brouillard de smog permanent. Le seul moment où cette pollution libère la ville est immédiatement après la pluie. Mais à peine une journée plus tard, le nuage opaque est de retour. En voyant l’air que je respire dans la ville, j’ai encore davantage le goût de retourner rouler en campagne.

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Ce n’est pas la neige qui manque en montagne.

Ce n’est pas la neige qui manque en montagne.

Avec Francisco, au sommet de Cerro La Cruz.

Avec Francisco, au sommet de Cerro La Cruz.

Smog permanent sur la ville.

Smog permanent sur la ville.

Finalement, l’autobus

Après une semaine complète d’attente, je décide de prendre une chance. Le col est toujours fermé mais les billets d’autobus se font de plus en plus rares. En fait, il n’en reste qu’un seul pour le lendemain et il annonce beau et ensoleillé pour la journée. Je prends le pari que le col ouvrira. J’achète donc ce dernier billet, avec un départ pour 7h30. Je me lève bien avant le soleil, roule jusqu’au terminal, fais étamper mon billet au kiosque de la compagnie. Il semble que ça va fonctionner. Mais l’on me dit alors que mon vélo ne sera pas accepté s’il n’y a pas de place…

Même message des employés du bus alors que j’attends en ligne pour y embarquer. « Attends-là, me disent-ils, s’il reste de la place en dernier, tu pourras entrer. » Autrement, je perds mon billet et je reste encore à Santiago.

Je vois les bagages s’empiler de plus en plus, et il semble que la file de passagers ne se terminera jamais. Les bagages ont beau emplir la soute comme un jeu de Tetris, celle-ci se remplit néanmoins rapidement. Je commence à stresser. Surtout quand je vois des passagers avec d’immenses boites, comme cette dame qui voyage avec un écran télé 50 pouces ! L’électronique étant beaucoup moins cher au Chili qu’en Argentine, plusieurs Argentins viennent acheter de ce côté de la frontière, et retournent les bras chargés à la maison.

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La neige dans la longue montée menant au col Los Libertadores, entre l’Argentine et le Chili.

La neige dans la longue montée menant au col Los Libertadores, entre l’Argentine et le Chili.

Alors qu’il ne reste que 5 personnes en ligne devant moi, deux employés l’un après l’autre me font des signes qu’il n’y aura pas assez d’espace. Je refuse d’y croire et commence à défaire mon vélo en morceaux. Le guidon, les roues, les pédales, tout y passe pour le rendre le plus petit possible. À la fin, il ne reste qu’un mince espace au sommet de la soute. Le préposé aux bagages regarde mon air de chien battu et me fait signe qu’on va quand même essayer. Il pèse de toutes ses forces sur l’immense écran de télé et toutes les valises dessous, et réussit à faire entrer ma monture de justesse. Nous insérons finalement la roue avant de côté et réussissons à fermer la portière alors qu’il ne doit rester que quelques centimètres cubes de libres. Je prends avec moi plusieurs de mes sacoches à l’intérieur. Je m’assoie et pousse un soupir de soulagement.

C’est reparti.