Virée à Valparaíso

J’avais quelques semaines à combler ce printemps après avoir décidé d’acheter un billet d’avion aller-retour Santiago-Montréal. J’en ai ainsi profité pour rouler une boucle vers la photogénique ville portuaire de Valparaíso.

Cette décision était motivée en bonne partie par la grande réputation de la ville à travers le pays et même le continent. L’air du large qui abaisse la température étouffante de la capitale, ainsi que l’omniprésence de l’art urbain font beaucoup pour y attirer les touristes chiliens et internationaux. Et puis, je commençais à me sentir un peu mal d’occuper l’appartement de mes amis chiliens Francisco et Daniela, qui me recevaient chez eux. Malgré leurs assurances répétées que j’étais le bienvenu, j’ai décidé de leur laisser un peu d’espace avant de revenir prendre l’avion.

Sortie de ville

La verdure disparaît bien vite après Santiago. Le sable et la sécheresse longent les routes.

La verdure disparaît bien vite après Santiago. Le sable et la sécheresse longent les routes.

Je me dirige donc en direction nord-ouest au sortir de la capitale. L’herbe et le luxe du centre de la ville font progressivement et rapidement place à la pauvreté et la sécheresse. Comme si l’eau et la richesse se concentraient au centre et plus à l’est de la ville, et laissaient les restants aux moins chanceux.

En quelques kilomètres à peine, les peaux semblent brunir autour de moi. Signe que beaucoup des aborigènes mapuches du pays ont décidé de quitter leurs terres ancestrales plus au sud pour tenter leur chance en ville. En approchant de l’autoroute Américo Vespucio qui encercle la ville, je vois quelques autos détruites et démembrées stationnées sur les rues résidentielles. Leurs pneus sont en lambeaux quand les roues ne sont pas complètement enlevées. Les miroirs et les portières manquent à l’appel, et les châssis rouillés semble indiquer que les carcasses traînent sur la voie publique depuis des années. Sur ces rues de quartiers qui m’amènent à l’extérieur de la ville de plus de 7 millions d’habitants, l’asphalte fait ici et là place à de la gravelle. Je vois passer un cheval tirant une remorque. Des clôtures oxydées en tôle ondulée cachent de pauvres maisons ou des logements sans âme aux airs de HLM. Les déchets reprennent une place prépondérante dans mon champ de vision.

Après seulement 10 km, je suis déjà loin du bel appartement de mes amis.

La route vers Viña

Immédiatement passé la ceinture périphérique, la circulation redevient lourde et bruyante. J’ai l’impression que plusieurs années sur la route ont érodé ma patience. Le bruit des gros moteurs et des cognements métalliques des remorques et chargements m’agressent. J’ai terriblement hâte au futur où les camions et autres transports seront électriques et silencieux…

Le chemin redevient éventuellement plus paisible à mesure que je commence à monter la cordillère de la Côte. La chaîne de montagne qui traverse le Chili (et toute l’Amérique en fait) est en réalité double : la grande cordillère des Andes, et la plus petite cordillère de la Côte. Santiago se trouve dans une vallée entre les deux. La montée se fait en une journée et j’arrive au sommet à la toute fin de celle-ci. De mon camping, j’aperçois la capitale et la grande cordillère d’un côté. Le Pacifique se trouve de l’autre, caché sous une épaisse couche de nuages.

Regard vers l’arrière, où j’aperçois la grande cordillère des Andes au loin.

Regard vers l’arrière, où j’aperçois la grande cordillère des Andes au loin.

Regard vers l’avant, où il me reste à descendre la plus petite cordillère de la Côte pour atteindre la Pacifique.

Regard vers l’avant, où il me reste à descendre la plus petite cordillère de la Côte pour atteindre la Pacifique.

Le lendemain, je descends jusqu’à la ville de Viña del Mar, agglomération voisine de Valparaíso. En son centre, la ville est propre, tranquille et les maisons perchées devant l’océan sur les collines respirent l’opulence. Viña ne m’apparaît pas à prime abord comme une destination touristique mémorable, mais est certainement plus « habitable » que sa voisine que je m’apprête à découvrir.

Valparaíso

Viña del Mar et Valparaíso ne sont séparées que d’une dizaine de kilomètres l’une de l’autre et l’on n’est pas tout à fait certain quand l’une se termine et l’autre commence. Je longe rapidement la côte pour arriver dans cette ville que Pedro de Valdivia fonda en 1544, le même conquistador qui avait fondé Santiago quelques années plus tôt. L’établissement avait alors pour but de servir de port à la capitale, située à environ 115 km à l’est.

Des pélicans sont installés à quelques jets de pierre de la côte, entre Viña et Valparaíso.

Des pélicans sont installés à quelques jets de pierre de la côte, entre Viña et Valparaíso.

Les vagues en va-et-vient créent des remous au pied de la ville.

Les vagues en va-et-vient créent des remous au pied de la ville.

Pendant longtemps, c’est justement ce port qui façonna la ville. Au 19e siècle, celui-ci était ainsi un arrêt important sur la côte ouest pour les navires qui venaient de passer ou se dirigeaient vers le détroit de Magellan, tout au sud du continent. À l’époque de la ruée vers l’or états-unienne, plusieurs aventuriers en route vers la Californie décidèrent simplement de s’installer ici. D’autres immigrants arrivaient d’Europe : Grande-Bretagne, Allemagne, France, Suisse, Italie. On retrouvait alors des journaux locaux publiés dans la majorité de ces langues. Des écoles internationales furent fondées, ainsi que le « cimetière des dissidents », pour les gens de confession autre que catholique.

Depuis, la ville a vécu une longue période creuse. Des milliers de personnes sont mortes lors du tremblement de terre et des feux qui l’ont suivi en 1906. Puis le canal de Panama sonna davantage le glas de l’importance stratégique du port. C’est en quelque sorte l’art urbain, sous forme de grandes fresques murales qui redynamisa l’endroit.  

L’art urbain

Bien plus que de simples graffitis, ces immenses tableaux peints sur les immeubles se retrouvent un peu partout dans la ville de presque 300 000 habitants, mais surtout au cœur de ses quartiers historiques de Cerro Concepción et de Cerro Alegre. Ces peintures sont sur les maisons, les lieux publics, les escaliers, et la majorité sont vraiment originales, colorées, et apportent un sourire et une vie à la ville.

Pablo Neruda, le célèbre poète chilien, était ambassadeur au Mexique au début des années 1940, alors que l’art mural débutait dans ce pays. C’est lui qui ramena cette idée lorsqu’il revint s’installer dans sa ville natale de Valparaíso. Le mouvement était né. Mais ce n’est qu’une trentaine d’années plus tard, à l’assassinat présumé de Neruda par le dictateur Pinochet (aussi originaire de Valparaíso) que les fresques prirent vraiment de l’ampleur. Ces peintures à grande échelle devinrent ainsi un mouvement de rébellion contre le régime dictatorial, en même temps qu’une façon de se souvenir du poète. Et ceci fonctionna tellement que la constitution militaire de 1980 banît strictement l’art urbain.

Officiellement, ce moyen d’expression est encore illégal aujourd’hui au Chili. Mais la ville elle-même semble considérer la loi archaïque. Elle subventionne même des projets à grandes échelles afin de continuer à être perçue comme l’une des capitales mondiales de l’art urbain.

Vous pouvez consulter ce lien pour en apprendre davantage sur l’histoire de l’art urbain à Valparaíso, en anglais. Ou vous pouvez simplement regarder cette dizaine d’exemples !

L’arc-en-ciel

En plus de ces couleurs peintes sur les murs, la ville au complet semble être un arc-en-ciel. Beaucoup de vieilles maisons sont recouvertes d’ancienne tôle prise des chargements des navires qui s’arrêtaient ici. Le restants de peinture maritime étaient ensuite utilisés pour couvrir les maisons.

Et comme la ville est construite sur 42 collines, et autant de quartiers uniques, on peut voir de presque partout ces bâtiments accrochés entre ciel et mer. En se promenant dans les rues tassées, serpentantes et étroites, ou en embarquant dans un de ces autobus qui déboulent ces lacets à en donner mal au cœur, on peut réellement apprécier le chaos de cette ville dirigée par un maire d’à peine une trentaine d’années.

Mais Valparaíso est peut-être même un peu trop chaotique pour moi, pauvre cycliste habitué à la lenteur !

L’éclectique ville de Valparaíso et ses collines colorées.

L’éclectique ville de Valparaíso et ses collines colorées.