Freddy Fritz, de l'Allemagne à la Thaïlande à vélo

Je dis depuis longtemps qu’il est presque plus difficile de trouver un partenaire de voyage qu’un conjoint. Alors que je prenais des photos au début de la route du Pamir au Tadjikistan, j’ai fait la connaissance de celui qui allait devenir un incroyable compagnon de voyage pour deux mois. Et parce que nos expériences cyclistes se ressemblent beaucoup, il s’agit presque ici d’une entrevue à moi-même tellement je me reconnais dans ses réponses.

Voici cinq question à l’Allemand Frederic Fritz.


1- Parle-nous un peu de toi et de ton voyage à vélo.

Pierre et Freddy, en compagnie de notre hôte Davlat, au Tadjikistan.

Pierre et Freddy, en compagnie de notre hôte Davlat, au Tadjikistan.

Je suis Frederic Fritz, mais les gens m’appellent Freddy. Je viens d’un petit village au sud de la Forêt-Noire en Allemagne.

En 2016, mon ami Pierre (de Paris, NDLR) et moi sommes partis d’Europe pour nous rendre à vélo en Chine. Sans itinéraire précis, nous avons suivi le Danube jusqu’à la mer Noire, entrant en Bulgarie, puis en Turquie, Géorgie, Arménie et en Iran. Nous avons ensuite traversé le Tadjikistan – où nous avons rencontré Jonathan – et une partie du Kirghizistan avant d’entrer en Chine.

J’ai ensuite continué seul en train jusqu’au sud de la Chine où j’ai roulé au Laos, en Thaïlande, puis en Birmanie à nouveau avec Jonathan.

2- Comment t'es-tu décidé à partir pour une telle aventure ?

Après le secondaire, je suis parti huit mois en Australie, et j’ai continué à voyager le plus possible durant mes études universitaires.

En sac à dos au Laos, j’ai réalisé à quel point il était difficile de rencontrer les gens locaux et d’apprendre sur leur vie en se promenant seulement en transport en commun.

Je voulais aller au devant des gens, de la nature et des différentes cultures, mais je ne faisais que rencontrer d’autres touristes comme moi dans les autobus.

Les gens à qui je voulais vraiment parler, et la nature dans laquelle je voulais être, étaient de l’autre côté de la fenêtre. C’est en voyant deux cyclistes descendre une montagne que j’ai su que j'allais faire pareil.

Freddy expliquant par gestes son voyage à vélo.

Freddy expliquant par gestes son voyage à vélo.

3- Peux-tu nous partager un souvenir mémorable de ton voyage ?

J’ai de la difficulté à n'en choisir qu’un seul. J’ai vécu tant de générosité humaine, vu tant de beaux paysages et me suis tellement dépassé physiquement que je pourrais partager un souvenir par jour.

Je me souviens cependant m’être arrêté un après-midi à un tout petit magasin en Birmanie alors qu’il pleuvait énormément. Là j’ai été invité par un jeune couple d’à peine vingt ans, avec déjà une petite fille de trois ans, à me reposer au « salon », une petite pièce derrière leur kiosque.

La chambre à coucher mesurait environ cinq mètres carrés et le salon trois. Il n’y avait pas d’eau, pas de toilette, et tous dormaient directement sur le sol en terre battue. Ils m’ont prêté des vêtements secs et m’ont offert à manger. Ils ne parlaient pas un mot d’anglais ni moi de birman, mais je pouvais comprendre leur amabilité et hospitalité. Mais j’avais l’impression de leur prendre le peu qu’ils avaient. J’ai tenté de quitter à quelques reprises mais la pluie ne cessait pas et ils refusaient que je parte.

En Birmanie, le gouvernement interdit aux gens d’inviter des étrangers chez eux. Je tentais de les convaincre qu’ils pourraient avoir des problèmes avec la police si on me surprenait chez eux, mais ils ne voulaient rien entendre. J’ai finalement passé la nuit là.

Cet élan de générosité et d’hospitalité représente très bien le monde et mon voyage, et je ne l’oublierai jamais.

4- Comment est la vie « normale » maintenant que tu es de retour à la maison depuis quelques mois ?

La vie durant un tel voyage est très intense.

Physiquement, parce qu’à chaque jour nous pédalons contre la météo (la pluie, le vent, la chaleur). Il faut grimper des montagnes, se laver dans des rivières gelées et constamment penser à ravitailler son eau. Mentalement, parce que nous rencontrons des gens de différentes cultures. Il faut s’ajuster au niveau de la langue et constamment à la façon de se comporter. Et moralement, parce que l’on comprend que l’on fait partie des privilégiés. Ceux qui ont le temps, l’argent et la liberté de voyager.  

Nous passons par des endroits où les gens se lavent au milieu du village et où les enfants de cinq ans travaillent aux champs. Et ces gens aussi pauvres soient-ils ne nous demandent jamais d’aide. Au contraire, ils nous offrent tout ce qu’ils ont avec joie.

Et puis on revient à la maison. Où l’on a tout sauf le sourire.

Nous ne semblons pas réaliser que d’acheter le dernier téléphone ou une télévision toujours plus grande est un cycle sans fin. J’apprécie notre démocratie et notre niveau de vie mais je ne cesse de me demander où sont passés les sourires depuis mon retour.

Et puis je m’ennuie de la liberté, de vivre des aventures au quotidien, de pousser mon corps au maximum. Sentir la grandeur et la beauté de la nature. Surtout, je manque la générosité des étrangers et l’intensité de la vie.

Je réalise depuis mon retour que je pourrais probablement écrire un livre pour chaque semaine de voyage à vélo, alors que je serais bien embêté d’en faire un pour une année complète ici en Allemagne.

Freddy avec deux moines nous ayant hébergés pour la nuit.

Freddy avec deux moines nous ayant hébergés pour la nuit.

5- Un mot de la fin pour les lecteurs ?

Il n’est pas nécessaire d’entrer dans cette course contre la montre du monde occidental.

Prenez un instant pour réellement vous demander ce que vous voulez et avez besoin dans votre vie. Et suivez votre instinct, on n’a qu’une seule vie !

Freddy roulant en Birmanie.

Freddy roulant en Birmanie.

NOTES : Comme j'ai traduit les réponses de Freddy, vous y aurez peut-être reconnu un peu mon style d'écriture. Toutes les photos sont les miennes.