Les reines du monde (partie 1)

Est-ce possible pour une femme de voyager seule à vélo ? « Bien sûr que oui ! » m’ont répondu en chœur d’inspirantes cyclovoyageuses qui ont décidé de laisser flotter leurs cheveux aux quatre vents.

Cet article a d’abord paru dans l’excellent magazine Vélo Mag, édition septembre-octobre 2019.

 

Laura Pedebas : Ouverte à la nature et aux autres

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Laura Pedebas a longtemps hésité avant de partir seule à l’aventure. Sa première expédition cycliste s’est effectuée avec un compagnon de voyage rencontré sur un site spécialisé. Plus tard, elle est partie avec un conjoint. Et en dépit d’une rupture amoureuse au beau milieu d’un périple à travers l’Amérique du Nord, la Française d’origine qui habite maintenant au Québec a la piqûre. Elle décide de poursuivre le pédalage seule, en Patagonie argentine à partir d’Ushuaia, la ville la plus australe d’Amérique du Sud. Son retour à la maison sera ensuite suivi d’un autre voyage : 5000 km jusqu’au Mexique, à la rencontre des fameux papillons monarques.

La préférence de Laura pour le vélo s’explique par l’autonomie et la polyvalence de ce moyen de transport. « L’absence de carrosserie autour de soi permet de s’ouvrir davantage à la nature et aux autres », expose-t-elle.

La voyageuse m’avoue avoir roulé plus vite à quelques reprises, pourchassée par quelques chiens voraces dans le sud des États-Unis. Ou s’être demandé quoi manger lorsque son réchaud a rendu l’âme au milieu des steppes patagoniennes. Malgré cela, ses plus beaux moments de voyage ont été réalisés en solitaire. « Vivre mon premier camping sauvage, surmonter des défis mécaniques... Ces situations m’ont permis de me faire davantage confiance. »

Une confiance utile, et qui donne certainement de bonnes anecdotes. «Une fois, un voyageur à vélo est venu “à mon secours” alors que je faisais de la mécanique sur mon vélo. Il me croyait en danger et pensait que c’était son devoir d’aider une femme en détresse. En quelques minutes, c’était moi qui lui donnais des cours de mécanique ! »

Laura glissant sur la route en Oregon.

Laura glissant sur la route en Oregon.

«La routine, les besoins et les défis sont les mêmes pour les deux genres. Mais il existe une certaine pression sociale laissant entendre que les femmes ne peuvent pas voyager de cette façon, et encore moins seules, poursuit-elle. En contrepartie, nous, les femmes, recevons plus d’aide et d’encouragement que les hommes sur la route. »

Les 30 000 km de Laura sur quelques continents l’ont changée. « Je me connais mieux, je suis plus autonome. » Au moment d’écrire ces lignes, la cyclonomade de 29 ans ne planifie cependant pas d’autres voyages en solo. Elle est à la veille d’accoucher d’un premier petit cycliste, mais compte bien commencer à rouler en famille dès que possible.

Laura tient un blogue dans lequel elle donne entre autres de l’information aux femmes cyclistes.

 

Lenka Mrackova : Complète liberté

J’ai rencontré Lenka sur un traversier au Chili. La jeune Tchèque s’apprêtait à se lancer seule dans son tout premier voyage de vélo. Bourlinguant avec son sac à dos depuis plusieurs mois en Amérique du Sud et voyant passer de nombreux cyclotouristes, elle a eu envie de se procurer un deux-roues et d’essayer ce mode de transport. « Si eux le font, pourquoi pas moi?» s’est-elle naturellement dit.

Il faut dire que Lenka est partie de son pays natal à tout juste 20 ans, en direction de l’Angleterre... sans parler un mot d’anglais! Quelques années et plusieurs pays européens plus tard, l’aventurière met le cap sur l’Amérique du Sud, où évidemment elle se met à l’espagnol. Et au vélo.

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Là-bas, elle déniche une monture, passablement usagée, et quelques sacoches. Ce qui ne devait être au début qu’une aventure de quelques semaines sur la Carretera Austral chilienne a plutôt été pour elle une révélation. Après plusieurs mois, l’Européenne roule toujours, en plus d’être maintenant accompagnée de Sofia, une chienne errante adoptée en cours de route. L’animal alterne entre la course et une place confortable dans une remorque pour enfant, laquelle s’est ajoutée au bagage de la cycliste.

Cette dernière me dit qu’après avoir connu le vélo, elle ne se voyait pas refaire du pouce, son ancien moyen de locomotion. « J’aime trop cette complète liberté. Je peux décider où aller, rouler autant que je veux et choisir où installer mon campement. Je peux aussi décider de parler aux gens ou pas, contrairement à l’autostop où il faut toujours faire la conversation. » Elle apprécie également le fait de savoir exactement où elle se trouve. «En me déplaçant lentement, je regarde beaucoup plus la carte, et je peux mieux me souvenir des endroits visités, des détails du paysage, des odeurs de la nature.»

Lenka souligne par ailleurs qu’on lui demande souvent si elle a besoin de quelque chose, une allusion à peine voilée que d’autres cyclovoyageuses ont déjà entendue aussi. Plus souvent qu’un homme, croit-elle. Elle dit se fier à son instinct pour évaluer les situations.

Celle qui a passé la majeure partie des six dernières années à voyager n’a toujours pas idée où son périple se terminera. Mais elle sait qu’il se poursuivra pour un bon bout à vélo. En continuant vers le nord du Chili, direction le Pérou et l’Équateur, puis où le vent la soufflera, elle et sa Sofia à quatre pattes !

 

Stéphanie Vincent : Se fier à son instinct

En 2012, à 22 ans, Stéphanie Vincent décide de rouler de Vancouver jusqu’en Terre de feu, au bout de l’Amérique du Sud. Juste ça. Accompagnée d’une amie jusqu’au Costa Rica, elle poursuit ensuite son voyage en solitaire. Son compteur s’est arrêté à un peu plus de 23 000 km. Depuis, elle a roulé dans les Maritimes, en Alaska, au Yukon, en Colombie-Britannique...

Stéphanie devant le volcan Cotopaxi, en Équateur.

Stéphanie devant le volcan Cotopaxi, en Équateur.

Selon elle, il y a une différence à voyager en tant que femme. «En camping sauvage, je ne dors jamais entièrement sur mes deux oreilles. » Toutefois, elle ajoute, philosophe: «Mais ce n’est pas parce qu’on a peur que c’est dangereux.»

Au contraire de plusieurs cyclistes, Stéphanie semble être plus consciente des dangers. Peut-être cela la rend-elle plus forte. Aux nombreuses femmes qui lui ont posé des questions au fil des années, elle leur a toujours dit de se fier à leur instinct.

« Tout est risqué dans la vie: traverser la rue, conduire sa voiture, être sédentaire... Alors aussi bien pédaler les Amériques!»

Stéphanie a raconté ses aventures cyclistes dans son blogue.