Albanie : une bénéfique pandémie

À Tirana, la capitale de l’Albanie où les moteurs sont objets de désir, rouler à vélo est nouvellement devenu cool.

Cet article a d’abord paru dans l’excellent magazine Vélo Mag, édition avril 2022.


« Au début de la pandémie, les rues ont été désertes durant trois ou quatre mois, raconte Gazi, qui me guide dans un tour de ville. Il ne restait rien d’autre à faire que de se promener à vélo ! »

En théorie, les résidents de Tirana n’avaient le droit de déambuler qu’une heure par jour. Or en Albanie, État qui a été sous une pesante dictature communiste pendant 45 ans, les citoyens ont soif de liberté. Les cafés, restaurants, autobus et aires publiques étant fermés, nul moyen n’était meilleur pour échapper à la pandémie que de s’évader à vélo.

« Il n’y avait aucune piste cyclable ici il y a cinq ans », se rappelle Iden Petraj, responsable municipale des sports dans la capitale et fondatrice du mouvement Cyclists of Tirana. Actuellement, on compte 38 km de voies balisées, le plus souvent séparées des rues par des bordures. Le nombre semble négligeable en comparaison du kilométrage des principales villes d’Amérique ou d’Europe, toutefois le cœur de la capitale albanaise est relativement peu étendu autour de l’immense place Skanderbeg, la plus vaste zone piétonne des Balkans, vers où converge toute la cité. « Tirana comporte peu de côtes, et on se rend partout en 3 km », s’enthousiasme celle qui a acheté elle-même son premier vélo à 15 ans.

Gazi Sadiku, guide touristique à Tirana.

Iden Petraj, responsable municipale des sports, et fondatrice du mouvement Cyclists of Tirana.

Erion Veliaj, le jeune maire de 42 ans en poste depuis 2015, a plus que doublé les pistes cyclables de sa ville durant les deux années pandémiques. Au prix d’enlever deux voies sur quatre de l’un des plus grands boulevards, soulevant l’ire de citoyens pour qui l’automobile est encore le meilleur mode de déplacement.

Le plus grand boulevard de Tirana, le Dëshmorët e Kombit, construit lors de l’occupation fasciste italienne.

En 2011, une ONG avait mis en place des stations de quelques dizaines de vélos en libre-service. Certains d’entre eux rouillent toujours aujourd’hui sur les trottoirs, retenus par des chaînes. En 2018, c’était au tour du géant chinois Mobike de s’installer dans les Balkans par l’ajout de centaines de vélos dans les rues de la capitale ; fonctionnant sans stations, plusieurs sont volés ou endommagés, et la compagnie a décidé de tirer sa révérence après moins d’une année.

« Il manque de la signalisation, et les pistes ne sont pas toutes très bien connectées entre elles », avoue Iden Petraj, pourtant motivée à améliorer la situation. « Le maire offre aussi une centaine de vélos aux meilleurs étudiants et d’autres aux familles dans le besoin », s’enorgueillit-elle.

Les époques se mélangent au parc Rinia de Tirana.

Des voix reprochent l’autopromotion constante et parfois mensongère de ce polarisant maire, qui a également été nommé l’un des 21 héros de la mobilité urbaine de 2021 par l’organisme international Transformative Urban Mobility Initiative. Mais en voyant des amateurs de tous âges pédaler et s’amuser sur leurs montures, je sens une véritable fébrilité cycliste en ville, et veux croire que le vélo est bien en selle à Tirana.