Albanie : vélos sans papiers

« On m’a dit que mon vélo était usagé et venait d’Allemagne, mais je n’ai pas trop posé de questions... »

Cet article a d’abord paru dans l’excellent magazine Vélo Mag, édition avril 2022.


Cette même confession m’a été répétée par plusieurs cyclistes locaux. La raison ? Une bonne partie des vélos de qualité qui circulent dans les rues de Tirana ont été dérobés en Europe avant d’être transportés en Albanie, la plupart du temps illégalement, et revendus à même les boutiques.

« Tout le monde est au courant même si on en parle peu », constate Tobias Gessler, un guide suisse de vélo de montagne établi ici depuis huit ans. « C’est un cercle vicieux, poursuit-il. Il n’y a pas tellement de nouveaux vélos sur le marché, car ils ne peuvent pas concurrencer les usagés presque neufs qui se vendent la moitié du prix régulier. »

Les modèles haut de gamme qui datent d’une à trois années sont les plus recherchés en Europe. Si bon nombre de vélos sont volés individuellement, d’autres « gens d’affaires » fonctionnent à plus grande échelle. En défonçant à coups de fourgonnette la vitrine d’un magasin par exemple, et en repartant quelques minutes plus tard avec une dizaine de vélos électriques. « Il n’y a pas vraiment de mal pour ces commerçants, me certifie-t-on. Les Allemands ont tous des assurances. »

Or selon la police allemande, ce ne serait que la moitié des 260 000 vélos volés en 2020 qui étaient assurés, pour un coût de près de 200 millions d’euros (290 millions de dollars). Et comme les polices nationales en Union européenne tiennent un registre des numéros de série des vélos volés, il est moins risqué de les démonter et de les envoyer dans un pays voisin hors union tel que l’Albanie. Les taxes d’importation élevées sont ensuite fréquemment remplacées par un graissage de patte aux douaniers impliqués dans l’opération.

Les intermédiaires sont si nombreux et opaques que les Albanais n’ont pas l’impression de participer à du recel. Ceux-ci achètent un bon vélo à un prix abordable plutôt que de payer le même prix pour un neuf de construction chinoise qui serait de bien moins bonne qualité.

En 2019, un homme de Bruxelles a suivi le GPS installé dans le cadre de son vélo à 2000 € jusqu’à la petite ville albanaise de Fier et a réussi à le reprendre légalement. Cependant, l’énorme majorité des montures adoptées en Albanie ne revoient jamais leur propriétaire d’origine.

Tirana, la capitale de l’Albanie, et l’hôte de plusieurs vélos allemands.