Renata Falzoni – La cycliste volante

C’est dans un petit parc tranquille de São Paulo, au sud du pays, que j’ai eu le bonheur de rencontrer la déjantée et lumineuse journaliste et activiste Renata Falzoni, pionnière du vélo au Brésil.

Cet article a d’abord paru dans l’excellent magazine Vélo Mag, édition juillet 2020, ainsi que sur leur site web.


La petite Renata est née en septembre 1953 d’une mère brésilienne et d’un père immigrant italien. Un mélange assez commun dans le plus grand pays d’Amérique latine, puisqu’on estime que la moitié des quelque 30 millions de descendants d’Italiens du pays habite dans l’État de São Paulo. «Après la fin de l’esclavage et la libération des esclaves au milieu du XIXe siècle, m’explique-t-elle, le gouvernement de l’époque désirait “blanchir ” le pays. L’immigration italienne était donc très encouragée.»

Les questions raciales ne sont jamais bien loin, au Brésil. Ce qui est plus rare dans cet immense pays, c’est de parler vélo. Ce que Renata a fait sans relâche toute sa vie.

Lobbyiste un jour, lobbyiste toujours, Renata en 1996 alors qu’elle se présentait une première fois comme conseillère municipale à Saõ Paulo, avec un agenda assez précis (1996).

Lobbyiste un jour, lobbyiste toujours, Renata en 1996 alors qu’elle se présentait une première fois comme conseillère municipale à Saõ Paulo, avec un agenda assez précis (1996).

Voler à vélo

Renata Falzoni en 1976 (23 ans à Vila Madalena, quartier de Saõ Paulo).

Renata Falzoni en 1976 (23 ans à Vila Madalena, quartier de Saõ Paulo).

«Je n’oublierai jamais le premier jour où j’ai volé sur un vélo», relate-t-elle, les yeux brillants et espiègles. C’est le meilleur moyen de connecter avec la joie de l’enfance, quel que soit l’âge. C’est comme un tapis volant.»

Elle ajoute avec une excitation palpable ressentir encore aujourd’hui une profonde joie lorsqu’elle découvre un nouveau sentier de vélo de montagne. Parce que oui, madame Falzoni, à bientôt 67 ans, part souvent seule dans les montagnes explorer des sentiers qu’elle ne connaît pas! «Je ne suis pas rapide, mais je suis très technique», me précise-t-elle, un brin de fierté dans la voix. De toute façon, en raison de ses cheveux rouges en bataille, de ses lunettes à grosses montures noires de style Ray-Ban et de son chandail de sport arborant le logo de sa chaîne YouTube, j’ai davantage l’impression de converser avec une jeune hipster qu’avec quelqu’un d’admissible aux rabais de l’âge d’or à la pharmacie.

Après son premier vol à vélo, la jeune Renata a appris à 8 ans à faire de la photo, sur pellicule argentique évidemment. À 12 ans, elle développe elle-même ses films. «Depuis, j’ai passé ma vie à tenter de combiner ma passion du vélo et celle de la photographie.»

 

Le vélo, c’est cool

En tournage à Cuba pour ESPN (2011, photo par Alexandre Cappi).

En tournage à Cuba pour ESPN (2011, photo par Alexandre Cappi).

Renata obtient un diplôme en architecture – qu’elle n’utilisera jamais directement –, puis se dirige tout de suite vers une carrière de photographe de presse et journaliste sportive. Elle accumule les contrats pour des magazines et des journaux tout en inventant de son côté le vélo de montagne. «Dans les années 1980, le Brésil était sous dictature et assez fermé au reste du monde. Je ne savais pas que les Gary Fisher et autres cassecou états-uniens étaient en train d’inventer le vélo de montagne. Ce n’est qu’au retour de la démocratie que j’ai appris que je n’étais pas toute seule à dévaler des sentiers sur de vieilles bécanes sans suspension!»

Lorsque les vélos états-uniens commencent à être importés au pays, au tournant des années 1990, elle abandonne complètement la randonnée en montagne et focalise exclusivement sur le vélo. «J’essayais aussi sans cesse de pousser le sport dans les médias, afin qu’on parle d’autre chose que de soccer et de course automobile.»

En 1989, elle fonde le Night Bikers Club do Brasil, un moyen pour les cyclistes de São Paulo de se réunir et de démontrer que «rouler à vélo est cool», dixit Renata. Depuis, le groupe a fait des petits partout au pays, promouvant le vélo comme sport et comme moyen de déplacement.

L’aventure ESPN

En 1995, Renata joint l’équipe de la chaîne de télévision ESPN au Brésil. Un moment décisif, selon elle. «Peu importe le sujet du reportage, je mettais toujours un vélo à l’écran.» Une façon subliminale de continuer à promouvoir la petite reine.

Puis, de 2000 à 2013, elle est à l’animation de sa propre émission, Aventuras com Renata Falzoni. Elle se déplace dans une trentaine de pays pour filmer des sports extrêmes ou en émergence: le surf, le skateboard, le parachute et, naturellement, le vélo sous toutes ses formes. «Je travaillais presque toute seule, avec peu de moyens, se souvient-elle. Avec les miettes qui restaient de l’argent du soccer!»

Une chaîne cycliste

Mon entrevue sur la chaîne YouTube de Renata.

Mon entrevue sur la chaîne YouTube de Renata.

Depuis 2013, Renata se concentre exclusivement sur les nouvelles cyclistes, du voyage aux athlètes en passant bien sûr par le déplacement urbain. C’est grâce à son site web et surtout sa chaîne YouTube (à laquelle j’ai participé et qui compte près de 290 000 abonnés) que nous avons été mis en contact. Ses médias portent le nom de Bike é Legal, qui peut se traduire par «le vélo est cool» en langage populaire brésilien.

Ses quelques employés et elle vivent des publicités internet et, surtout, du support financier d’Itaú, une banque brésilienne parmi les plus importantes du monde. C’est d’ailleurs cette institution financière qui a fait installer des vélos en libre-service (du même modèle que le Bixi montréalais) dans maintes grandes villes brésiliennes.

«Ça fait vraiment du bien de ne plus être seule, m’avoue-t-elle. Pendant longtemps, ce n’était que moi qui mettais le vélo de l’avant.» Et pas uniquement en vue de la reconnaissance du sport, mais dans le but que moins de gens décèdent dans les rues de sa mégalopole. En effet, en 2017, pas moins de 37 cyclistes ont perdu la vie dans les rues de la seule ville de São Paulo. Pour l’avoir traversée d’un bout à l’autre, je peux aisément le comprendre. Parmi les villes de la quarantaine de pays où je suis entré à vélo, c’est probablement la plus dangereuse de toutes. Sans compter les centaines de morts causées annuellement par l’intense pollution de l’air engendrée par les millions d’automobiles quotidiennement immobilisées dans la circulation.

La situation s’améliore, mais pas rapidement, croit-elle. «Il faut souvent se battre contre les politiciens qui ne souhaitent qu’ajouter des voitures, le symbole suprême de la réussite ici. Le problème, poursuit la journaliste, est que tout moyen de transport qui n’est pas la voiture – la marche, le vélo, le transport en commun – est vu comme une solution pour les pauvres. Ça remonte à l’époque de l’esclavage…»

Pas de retraite en vue

Parce qu’il reste encore beaucoup à faire, Renata n’a pas une calme retraite dans la mire. «Je n’arrêterai jamais de faire du lobbying, de provoquer», dit-elle.

Renata se porte d’ailleurs candidate comme conseillère aux prochaines élections municipales, qui auront lieu à l’automne. Elle veut davantage de trottoirs, de pistes cyclables, de connexions vers les stations de transport collectif. «Je ne me présente pas pour moi, indique-t-elle, mais pour la cause. L’attitude du public change enfin. Les politiques publiques doivent suivre.»

ques publiques doivent suivre.» Celle qui, il y a quelques années, a porté la flamme olympique en pédalant termine notre longue discussion avec le même feu qu’elle a maintenu pendant plusieurs heures. «Ma contribution majeure, pense-t-elle, est que les gens me voient me promener à vélo, m’entendent en parler, sans arrêt. Dans les médias comme dans les rues de ma ville, je pédale. J’accomplis ce en quoi j’ai toujours cru.»

Renata, en moi tu as déjà un public convaincu. Il n’y a effectivement rien de plus cool que le vélo.

Flamme olympique à Saõ Paulo pour les jeux de Rio 2016.

Flamme olympique à Saõ Paulo pour les jeux de Rio 2016.