Pikala : Le vélo pour toutes et tous

Cours de vélo aux Marocaines et aux écoliers, tours guidés pour les touristes dans la vieille ville de Marrakech, ateliers de réparation gratuits… Pikala est plus qu’une entreprise de vélo, c’est un outil de développement social.

Cet article a d’abord paru dans l’excellent magazine Vélo Mag, édition mars 2022.


La Néerlandaise Cantal Bakker est une fervente croyante du pouvoir d’intégration du vélo. Activiste cycliste, elle enseignait aux Syriennes à faire du vélo aux Pays-Bas, au plus fort de la crise des réfugiés en Europe. En 2015, lors d’un voyage à Marrakech, elle constate les mêmes besoins et voit les possibilités que le vélo pourrait offrir à la population marocaine. Elle se sert de l’engouement pour la COP22, la conférence sur les changements climatiques qui aura lieu dans la même ville en 2016, pour amasser les fonds nécessaires à la création de Pikala – dont le nom signifie bicyclette en darija, le dialecte marocain de l’arabe.

Les objectifs sont ambitieux : encourager les Marocains à utiliser le vélo pour se déplacer plus vite, pour diminuer la pollution urbaine et pour aider les enfants à se rendre plus facilement à l’école. L’atelier mécanique permettra de donner de la formation, et les tours guidés d’embaucher des gens locaux, dans une société qui connaît un fort taux de chômage.

Un atelier étonnant

L’atelier a d’abord été installé dans une partie moins touristique de Marrakech. Puis, en 2018, l’administration municipale fait don à Pikala d’un terrain dans la médina, l’ancienne partie de la ville entourée de fortifications. Seul hic, il s’agit d’un dépotoir de quartier que les bénévoles et les employés motivés doivent eux-mêmes nettoyer pendant plusieurs jours. « Il a fallu gratter 10 cm de sirop de déchets séché au sol ! » me raconte Issam Facil, aujourd’hui gérant de l’atelier Pikala.

Issam Facil, Jonathan B. Roy, Jihane Joypaul et Mounir Khamali.

Ils se retroussent les manches (et enfilent probablement des gants) dans le but d’y bâtir un joli local à aires ouvertes pouvant accueillir un atelier de mécanique et quelques dizaines de vélos en location.

Tchabet Richard, un mécanicien originaire du Cameroun, m’explique qu’ils doivent souder plusieurs des pièces eux-mêmes en raison de l’éclectisme et de la vétusté des vélos de leurs clients. Par exemple, il me montre quelques pattes de dérailleur qu’il a lui-même fabriquées, et qu’il appelle poétiquement des « pavillons d’oreille ».

Tchabet Richard, originaire du Cameroun, fabrique lui même ses « pavillons d’oreille ».

L’atelier de Pikala est toujours ouvert aux jeunes qui souhaitent apprendre les rudiments de la mécanique. Et une semaine par année, en association avec quelques magasins de vélo, on y offre à tous la réparation gratuite afin de s’assurer que le plus grand nombre de Marrakchis peuvent profiter d’une monture en bon état.

Objectif jeunes

Dans un pays où le véhicule motorisé est roi, où il y a peu d’éclairage la nuit et où les arrêts aux feux de circulation sont au mieux une suggestion, il est difficile pour un enfant d’acquérir de la confiance et de prendre plaisir à rouler à vélo. C’est pourquoi les jeunes sont particulièrement visés par les services de Pikala.

Plus de 170 vélos sont entretenus puis prêtés à des élèves du secondaire afin qu’ils puissent se rendre à l’école. « Des cours théoriques et pratiques sur le vélo seront aussi très bientôt offerts à plus de 1 600 écoliers dans trois villes », ajoute Issam Facil. Plutôt « 1 656 », précise son collègue Mounir Khamali, le gestionnaire de projets communautaires qui connaît très bien ses dossiers.

De plus en plus de femmes

Les quelques dizaines de vélos urbains et de montagne de Pikala, qui proviennent en bonne partie des Pays-Bas, sont loués ou utilisés lors des tours de ville. Ils servent également pour les cours offerts aux Marocaines.

« Les filles sont encore gênées de se promener à vélo », m’explique Jihane Joypaul, la responsable des communications qui a obtenu un baccalauréat en cinéma à Paris avant de revenir au Maroc récemment. « Elles peuvent ressentir de la hchouma – de la honte mêlée à de la pudeur. Ici, ce moyen de transport n’est pas très encouragé. »

Pikala donne des cours cyclistes aux filles et femmes. Les gens de la médina sont maintenant plus habitués à les voir circuler.

Le vélo-burqa

Il y a quelques années, Pikala a organisé un concours auprès des étudiants. L’objectif était d’imaginer des vélos répondant à certains problèmes locaux. « Les femmes portant la burqa n’ont pas la liberté de mouvement nécessaire pour faire du vélo, a écrit l’un d’eux. Alors, pourquoi ne pas installer la burqa par-dessus le vélo plutôt que par-dessus la femme ? » Il en a résulté une lourde bécane métallique qui roule difficilement, et qui a le mérite d’attirer l’attention sur cette question.

Pikala tente de changer ces mentalités en offrant aux filles et aux femmes des cours de vélo durant huit semaines, à raison d’une heure et demie par fin de semaine. L’âge des étudiantes varie de 14 ans à… « très vieille », mais la moyenne serait autour de 26 ans.

« Le fait que les locaux et les touristes se croisent tous au même endroit a un grand impact, croit Jihane. Les gens de la médina sont maintenant beaucoup plus habitués à voir des cyclistes, et notamment des filles. »

Le plus récent projet : un café

L’énergique Khaoula El Haidi, en plus d’avoir été guide et de donner des cours cyclistes aux femmes, est maintenant gestionnaire du nouveau Pikala Café, où je m’arrête. « J’adore aller vite à vélo, me dit la jeune et indépendante femme de 25 ans. Je me sens libre et j’ai l’impression de m’imposer davantage. »

Dans le cadre de ses études en tourisme, Khaoula s’est penchée sur les avantages qu’apportait Pikala à la communauté. Et on lui a finalement offert un travail.

Tout comme l’atelier, le café est une joyeuse tour de Babel où se rencontrent Marocains et touristes du monde entier, qui y viennent pour la nourriture et les spectacles musicaux. Le restaurant n’est ouvert que depuis deux mois et déjà la terrasse ensoleillée est bondée tandis que les serveurs courent de table en table.

Mohamed Bardi et sa patronne Khaoula El Haidi.

On salive juste à voir les plats du café !

Le futur

Cantal Bakker est une fervente croyante du pouvoir d’intégration du vélo.

« Ce projet aurait pu voir le jour n’importe où », admet la fondatrice, Cantal Bakker, debout sous l’écriteau de l’atelier aux couleurs du drapeau néerlandais. « Tellement de pays font face aux mêmes problèmes. Nous recevons des demandes de presque partout en Afrique pour y ouvrir de nouvelles succursales. »

L’organisme à but non lucratif fonctionne avec les profits provenant des touristes ainsi que des subventions d’organisations marocaines et européennes. « Des revenus stables aident à garantir la pérennité de notre aide », résume Cantal.

Si les projets ne manquent pas pour développer Pikala, les besoins certainement pas non plus. Durant les moments les plus difficiles de la pandémie, plus de 1200 paniers de denrées ont été livrés grâce aux vélos-cargos de Pikala. En outre, du travail de lobbying est également fait dans le but d’augmenter le nombre de pistes cyclables, mais cette question ne s’est pas encore hissée au rang des priorités locales.

Quoi qu’il en soit, à Marrakech, plus d’une trentaine d’employés de Pikala et un nombre grandissant d’adeptes du vélo urbain accompagnent maintenant Cantal Bakker dans sa belle et positive vision cycliste.